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          | Roman

29 décembre 2016 : Jacques A. Bertrand, Biographies non autorisées (posté le 29/12/2016 à 10:27)

Les portraits que dresse ce petit livre se baladent délicieusement dans les mots et dans le monde. Ils tentent de saisir ce que fut la première larme et la vague et ils épicent d'érudition leurs élucubrations. On y rit et on y pense, et surtout on entend la voix du poète qui s'amuse. Tout est toujours d'une finesse et d'une élégance farceuses, même s'il s'agit de dire du mal et Dieu (voir sa biographie et celle de la famille Testevuide) sait s'il y a du mal à dire sur l'homo sapiens sapiens quand il se fait fondamentaliste ou censeur. Allier plaisir et réflexion, rare bonheur.

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7 décembre 2016 : Serge Joncour, Repose-toi sur moi (posté le 07/12/2016 à 19:43)

Roman d'amour. Le genre semble déborder, dégouliner même. Pourtant, ce roman d'amour à la fois pudique et mouvementé donne quelques frissons de mélancolie, de tendresse et de plaisir. Deux êtres que tout sépare - ça sent l'eau de rose, mais non, c'est un parfum plus subtile, une variation, un léger décalage - se rencontrent. Ils habitent tout près. Dans la cour : des corbeaux. Elle en a peur. Il les tue. Soudain : des tourterelles. Métaphore oiseuse? Pas même. Chacun entre dans le monde en décomposition de l'autre. Chacun se protège et se dévoile. L'aventure s'emballe, touche à la catastrophe puis retombe dans le quotidien, un quotidien bouleversé qui donne à rêver d'histoires d'amour nouvelles, presque comme les autres, sagement folles. 

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25 octobre 2016 : Céline Minard, Le Grand Jeu (posté le 25/10/2016 à 18:08)

Tout plaquer, se construire une planque en montagne, au milieu de nulle part, planter son jardin, marcher, vivre hors de la société, escalader des sommets, penser tout seul, projet insensé? Le lecteur ignore tout des raisons qui ont poussé la narratrice du Grand Jeu à se lancer dans l'aventure. Il assiste à certaines de ses réflexions, sur le danger, sur les promesses qu'on se fait à soi-même, mais il reste au bord du précipice. Puis arrive la rencontre, drôle de rencontre, désagréable et fascinante, une folle aussi, miroir déformant, sosie future, modèle à suivre, ennemie mortelle. Le Grand Jeu se complique quand il y a plusieurs joueurs, quand la montagne n'est plus un espace de pure liberté, quand il faut marcher sur la corde raide, se préparer à tomber et à passer l'hiver dans une prison de glace. Roman de l'expérience radicalement autre, Le Grand Jeu surprend et rend perplexe, d'une perplexité qui donne à voir le monde de plus haut. 

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19 octobre 2016 : Pierre Lemaitre, Robe de marié (posté le 19/10/2016 à 21:14)

Un bon thriller doit être construit de manière rigoureuse. Celui-ci pose les jalons d'une folie petit à petit. La mécanique du crime parfait s'élabore sous les yeux d'abord aveuglés du lecteur, puis elle le plonge dans une orgie de perversité pour enfin s'enrayer, se retourner contre celui-là même qui en a été l'instigateur. Qui est coupable? Qui est victime? Tout se renverse sans cesse. Tout est d'une noirceur jamais éclairée ou toujours éclairée de travers, trop fort, par le mensonge, pas la manipulation, par la cruauté. Une femme se croit démente. Les cadavres pleuvent autour d'elle. Elle fuit, se croit une meurtrière. Mais l'est-elle vraiment? La question est sans réponse, sans doute. 

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2 octobre 2016 : Marc Voltenauer, Le Dragon du Muveran (posté le 02/10/2016 à 16:48)

Un bon roman policier doit-il forcément être mal écrit? Certes, l'intrigue de ce roman romand est bien ficelée, les meurtres sordides mis en scène avec subtilité et l'enquête menée avec passion ; mais cela suffit-il? Un roman se réduit-il à ce qu'il raconte? Sans doute ne suis-je pas assez lecteur de polars pour trancher mais il faut bien avouer un certain agacement face à l'absence de style de ce texte : phrases mal construites, clichés omniprésents, particulièrement dans les descriptions, longues explications inutiles, lourdeur du langage, etc. Bref, j'en ressors le sentiment pénible d'un correcteur face à une mauvaise dissertation. 

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1er septembre 2016 : Marcel Proust, La Prisonnière (posté le 01/09/2016 à 20:39)

Le génie de Proust atteint dans La Prisonnière son sommet. La complexité des sentiments du narrateur pour Albertine, sa jalousie, ses peurs, ses mensonges, ses volontés de départ et la nécessité des réconciliations sont décrites avec une profondeur telle que le lecteur se trouve saisi dans la cervelle torturée, maniaque et sensible à l'extrême d'un être perdu à force de chercher à se comprendre. En parallèle, on assiste à la chute terrible de Charlus, assassiné par la bêtise et la fierté imbécile des Verdurin et de Morel, qui pourtant donne à Proust l'occasion de toucher à la perfection dans la description du septuor de Vinteuil, où la musique et la vie s'unissent si profondément dans la phrase sans fin de l'auteur qu'on a l'impression que jamais rien ne se terminera. On sait pourtant qu'Albertine disparaîtra et qu'au moment même où la quitter devenait possible sa disparition sera la plus dure des épreuves. Jamais rien n'est figé chez Proust. Tout est en perpétuel mouvement, en une incessante interrogation sur l'expérience mystérieuse de vivre. 

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30 août 2016 : San-Antonio, Deuil express (posté le 30/08/2016 à 14:49)

Le San-Antonio de 1954 (l'un des cinq, l'auteur est déjà productif) est encore un peu vert, ou n'est l'est peut-être pas encore assez. A la pêche avec son oncle lyonnais, il sort un cadavre de l'eau. Bien sûr, ce mort est lié à une affaire d'espionnage, à des documents secret-défense liés à la guerre d'Indochine, à deux ou trois jolies nanas qui meurent avant que San-Antonio ne puisse s'en occuper correctement et à d'autres cadavres qui pullulent. Les ficelles sont grosses. Béru ne fait qu'un passage express. La langue offre parfois des perles et des immondices, comme on les aime. On reste néanmoins un peu sur sa faim. 

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13 août 2016 : Vassili Grossman, Vie et destin (posté le 13/08/2016 à 13:33)

La guerre et la paix au temps de Stalingrad sont, dans ce gros roman russe où il faut accepter - comme toujours chez les Russes - de se perdre un peu dans la forêt de personnages, entremêlés. Le lecteur suit le quotidien des soldats au front, retranchés dans des usines désaffectées, il voit des amours contrariées par la mort ou naissant dans les décombres, il perçoit les dilemmes des chercheurs affectés par le poids du contrôle soviétique des idées, il pénètre dans les chambres à gaz nazies et dans le goulag, il connaît le désespoir de l'attente au milieu des puces et la joie de la victoire, il réfléchit à l'emprise de Staline sur son peuple, il s'indigne des trahisons et des dénonciations, bref il est plongé dans un monde terrible et beau, parce que rien n'est larmoyant, tout est placé sous le signe de la vie, parfois de la vie la plus crasseuse et la plus immorale, mais d'une vie passionnée et intense qui montre que le rouleau compresseur de l'histoire n'efface jamais totalement la liberté des hommes qu'il écrase. 

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27 mai 2016 : François Mauriac, Thérèse Desqueyroux (posté le 27/05/2016 à 19:13)

Thérèse Desqueyroux frôle le crime et s'enfonce dans la folie. Le lecteur plonge avec elle. Il constate l'insignifiance bornée de ce mari qu'on lui a donné pour le nom. Il laisse les doses de médicament devenir assassines. Il s'enferme dans sa chambre et se laisse défaire. Il s'éloigne, lentement, du monde des gens de bien. Si ce roman où il ne se passe presque rien, quelques rêves qui s'écroulent, une pensée qui se perd, une femme qui fuit, accroche le lecteur, c'est que "Thérèse Desqueyroux, c'est moi", c'est la difficulté de vivre libre enfermé dans la lourdeur d'un monde immobile. 

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1er mai 2016 : Mathias Enard, Boussole (posté le 01/05/2016 à 20:44)

A priori, ce roman semble encombré d'allusions savantes, de musicologues orientalistes, de pèlerins oubliés qui se perdent dans le désert, d'archéologues allemands fous à lier, d'un fatras d'articles tirés à part pour universitaires obsessionnels, de souvenirs décousus d'Alep, de Palmyre, de Téhéran, de Vienne et de Paris. Le lecteur s'y perd. De quoi s'agit-il? d'un traité d'orientalisme pour intellectuels à lunettes? de l'étalage sans vergogne de la pédanterie la plus crasse? d'un long rêve baroque qui se perd jusqu'au bout de la nuit? Voyage au bout de la nuit, voilà qu'il me vient aussi des références littéraires… Non, il s'agit d'un roman d'amour. Si le narrateur se perd si profondément dans un Orient de bibliothèques et de fouilles trop méticuleuses, c'est que l'Orient a pour nom Sarah, qu'il est cet autre que l'on cherche à comprendre, à prendre en soi, sans succès, sinon dans des nuits (l'Orient illumine la nuit de Vienne; voici Arnold Schönberg, La nuit transfigurée) où la musique et l'amour se rejoignent. Les écrivains, les musiciens, les voyageurs, les errants, les fous de Dieu, les savants fervents et les amoureux austères sont tous en quête de l'autre; ils fuient tous la mort qui s'avance; ils voient tous, à l'aube d'une insomnie peuplée de fantômes merveilleux, un espoir se lever au coeur de ce monde assommant, une boussole de Beethoven qui montre l'Est et qui n'en montre pas que l'agonie que déversent sur nous les charognards télévisuels. 

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