meslectures

          | Critique

26 août 2016 : Nadja Cohen et Anne Reverseau, Petit Musée d'histoire littéraire 1900-1950 (posté le 26/08/2016 à 16:27)

Les objets, les choses, les machines constituent l'armature d'une époque. La littérature y puise son décor et y cherche ou y invente du sens. Ce livre zigzague entre les objets qui firent le début du vingtième siècle, du corset ou la femme était enfermée au maillot de Musidora qui révèle ses formes (et qui ressemble étrangement à un burkini, puisque l'on voit qu'aujourd'hui aussi les objets font parler d'eux). On y voit l'impact de ses objets sur l'oeuvre des écrivains et sur la société qu'il décrivent et qu'ils changent. Petit à petit, les objets sont plus inquiétants, plus sombres, plus violents, jusqu'à la bombe atomique, qui condense toutes les horreurs de la guerre dans un seul objet. Faire l'histoire des objets et de leur présence dans l'imagination des hommes, c'est montrer ce qui a vraiment de l'importance au quotidien, loin des grandes idées mais présents en elles. 

Commentaires

1er juin 2016 : Hélène Merlin-Kajman, Lire dans la gueule du loup, Essai sur une zone à défendre, la littérature (posté le 01/06/2016 à 08:49)

La littérature, à quoi ça sert? La question revient sans cesse, même quand on croyait l'avoir évacuée une bonne fois pour toutes. Réponse la plus simple : à rien. Et pourtant, comme l'auteure de ce livre, je continue à lire et à enseigner la littérature. Réponse plus riche : la littérature est une affaire de lien, de rapport à soi, aux autres et au monde, un phénomène transitionnel qui permet de de transformer nos traumatismes en expériences positives sans pour autant les nier. Ce livre transmet, ou mieux, partage quelques lectures vécues, en commençant par celles que l'on raconte aux petits enfants pour finir par celles qu'on analyse en séminaire universitaire. Il montre que les outils formels ne suffisent pas, que le texte, rien que le texte, tel que l'imposait la vulgate structuraliste, cela ne permet pas de rendre l'essentiel de ce qu'est la lecture d'un texte littéraire, pourquoi certains textes nous parlent et d'autres pas. Hélène Merlin-Kajman réinstille un peu de morale, de liberté et de sens dans la littérature. Enfin, serait-on tenté d'ajouter. 

Commentaires

15 août 2014 : Georges Bataille, La littérature et le mal (posté le 16/08/2014 à 14:00)

On ne fait pas, dit-on, de la littérature avec des bons sentiments. Pour Bataille, il semble même nécessaire que la littérature se tourne vers le mal, qu'elle l'explore jusqu'au bout, qu'elle s'en saisisse. Il étudie alors quelques auteurs qui s'y sont frottés, qui s'y sont parfois, en mots ou en vie, vautrés, sans que ce soit pour dénoncer le mal ou pour en dire du mal en vue d'un plus grand bien. Deux exemples peut-être sortent du lot. Bien entendu, Bataille évoque Sade, qui détaille le mal parce qu'il l'aime, qui s'enfonce sans frémir ou en frémissant de joie dans des horreurs qui lassent le lecteur, le mettent mal à l'aise, le bousculent par leur monotonie. Il évoque aussi Genet, le malfrat écrivain, celui qui s'adonne au mal et qui l'écrit pour être souverain, pour échapper à l'ordinaire de la morale, pour devenir sacré. Le mal en littérature, au fond, c'est le moment où les mots s'échappent du terre à terre pour se confronter au divin, pour vivre dans la page ce que des mots venus d'ailleurs interdisent, pour affirmer une liberté sans limite. 

Commentaires

13 juillet 2014 : Alberto Manguel, Une histoire de la lecture (posté le 13/07/2014 à 09:00)

L'histoire de la lecture ne peut être qu'une histoire parmi d'autres, qu'un parcours particulier qui se perd dans le labyrinthe-bibliothèque, qu'un roman d'aventures. Alberto Manguel nous emmène aux origines de la lecture, au temps des tablettes-mystères qu'on découvre en fouillant la terre, et aux origines de sa lecture, quand il avait en face de lui le vieux Borges aveugle. Il évoque le temps où l'on ne lisait qu'à haute voix, des heures d'affilé, devant des commentateurs qui ne respectaient pas le silence lourd des auditeurs fascinés. Il évoque les lieux de lecture, le lit, bien sûr, lieu de tous les plaisirs, ou les transports publics (j'ai envie d'ajouter la piscine et ce volume des Mémoires d'Outre-Tombe tout taché de crème solaire). Il cite à gogo mille livres inconnus, mille auteurs qu'on ne lit plus, quelques bouquins familiers et toutes les lectures dont on rêve, celles qui ne se font pas, ces ouvrages qui dorment dans les étagères de poussière. Mais il est temps de cesser d'écrire et d'empoigner un nouveau livre qui supplie qu'on l'ouvre et qu'on le dévore. Au fond, cette histoire de la lecture n'est qu'une incitation à plus de lecture encore. 

Commentaires

5 novembre 2005 : Alain de Botton, Comment Proust peut changer votre vie (posté le 05/11/2013 à 17:37)

Avons-nous besoin, pour vivre mieux, de proustothérapie? Ce livre suggère que c'est le cas et il a raison, bien que sa lecture n'ait pas été nécessaire pour me convaincre de ce fait. Qu'est-ce donc qui fait du bien dans Proust? Tout d'abord, de Botton relève la longueur de la Recherche : il faut prendre son temps pour lire ne serait-ce qu'une seule phrase de Proust; et Dieu sait si ce qui nous manque le plus aujourd'hui, c'est de temps mort, d'arrêt sur image, de réflexion. On court, on court et on recourt sans jamais savoir ni après qui ni après quoi. Proust prend des dizaines de pages pour dire le rien entre le sommeil et le réveil, il s'arrête sur toutes les expressions changeantes du visage d'Albertine, il regarde à la loupe la moindre de ses émotions, bref (et il n'y a rien de moins proustien que ce "bref") il prend le temps de vivre et de penser. Il ne vit d'ailleurs pas mieux, calfeutré qu'il est entre son lit et son livre, mais il vit plus intensément, plus réellement que celui qui effleure le monde. Il vit en aspirant l'essence de chaque instant. Bien sur, de Botton s'attarde (comme Proust l'aurait fait avec beaucoup plus de pénétration) sur des détails, il lasse par le caractère trop biographie de son propos, il ne fait que redire des banalités sur l'oeuvre d'un génie, mais son livre a un mérite: il donne envie de continuer à relire Proust et de continuer à y perdre un temps que l'on retrouve forcément. 

Commentaires

20 août 2013 : Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique (posté le 20/08/2013 à 15:14)

Qu'est-ce que la littérature fantastique? Entre théorie et exemples, Todorov propose un portrait intéressant. Le fantastique est une hésitation, une expérience de la limite, un entre-deux, entre le réel et le surnaturel, entre le merveilleux, où tout est possible sans que l'on ne s'en étonne, et l'étrange, où ce qui semblait surnaturel trouve une explication rationnelle. Il se passe quelque chose qui ébranle l'ordinaire et celui à qui cela arrive perd pied. Devient-il fou? Est-ce le monde qui le devient? Y a-t-il quelqu'un d'autre? Qu'est-ce que c'est? ça se transforme, la femme devient cadavre, la statue prend vie, les objets bougent. Souvent, le fantastique permet de dire des tabous, de les exposer tout en les condamnant. La sexualité exacerbée ou sortant de l'ordinaire éveille des diables et des sorcières. Aujourd'hui, le fantastique est-il mort? Todorov le pense. Le fantastique est un genre du dix-neuvième siècle. L'absurde, qui lui succède, n'est plus hésitation. Il est regard habitué sur l'étrange, malaise face à un monde dont on sait qu'il peut être dément. 

Commentaires

2 mai 2013 : Jean Starobinski, L'oeil vivant, Corneille, Racine, La Bruyère, Rousseau, Stendhal (posté le 02/05/2013 à 19:37)

Quel rôle joue le regard dans les oeuvres littéraires? Ce livre traque, dans quelques oeuvres majeures, les jeux de dévoilement de cache-cache, les masques et les miroirs, les éblouissements et les aveuglements. Corneille ébloui montre ses héros au monde dans leur noble vérité, dans leur éclat, alors que chez Racine les regards entrecroisés se troublent, se cherchent mais ne se trouvent pas. Rousseau n'ose s'exposer aux yeux de l'autre, du troisième homme, de celui qui juge, et qui condamne, forcément. Pour lui, le regard est toujours faute. Stendhal se cache derrière ses pseudonymes pour tenter d'être autre que l'homme laid qu'il refuse d'être. Tous jouent un jeu mystérieux, se dévoilent en se voilant, et à travers ces miroitements incertains s'esquisse une histoire du regard, qui incite à se plonger, les yeux dans les yeux, dans leurs oeuvres, traces d'hommes et d'époques devenus invisibles.

Commentaires

22 janvier 2013 : Marcel Proust, Chroniques (posté le 22/01/2013 à 11:50)

Les chroniques de Proust se lisent comme un écho de la Recherche. Y passent des dames du monde et des clochers de petites églises, des aubépines et des poèmes. Proust y esquisse, pour donner un avant-goût de son génie, des portraits pris sur le vif aux salons grandioses et ridicules, il s'essaie aux sentiments si profonds que les fleurs lui inspirent, il rêve sur le nom de Florence et sur une réalité qui devra le décevoir. Et il lit des auteurs oubliés de tous où des classiques, savoure quelques vers qui sonnent juste, goûte une petite phrase musicale qui colorera son livre. Bref, ces chroniques ne sont qu'un amuse-coeur, un carton d'invitation pour obtenir le droit d'être présenté à la son oeuvre princesse, à cette Recherche du temps perdu qui se savoure sans cesse, comme une madeleine ou comme le pain de chez Sudan...

Commentaires

8 janvier 2013 : Antoine Compagnon, Le démon de la théorie (posté le 08/01/2013 à 12:25)

Comment lire sans se faire avoir? On serait tenté de répondre que le plaisir de la lecture tient justement au fait qu'on se laisse avoir, qu'on croit, contre toutes les réflexions les plus logiques, que l'auteur a un truc à dire à un lecteur réel sur un monde extérieur qui existe et qui évolue, bref, qu'il n'y a pas de plus grande joie que de rester l'idiot dindon de la farce littéraire. Compagnon, tout en rendant le lecteur moins naïf, ne condamne pas les idées communes qu'on se fait sur la littérature. Il montre au contraire que la théorie, en cherchant à tout prix à les détruire, a abouti, pour chacune d'entre elles, à des paradoxes qui les font renaître de leurs cendres. L'auteur est mort : vive l'auteur! On peut respirer, continuer à lire en s'identifiant, continuer à croire que le langage n'est pas qu'un système qui ne tourne en boucle que sur lui même, continer à penser que les livres ne donnent pas des informations que sur eux-mêmes, mais aussi sur leur époque, et persévérer à y traquer des messages ou des idées qui nous permettront de mieux vivre. Ce que réhabilite Compagnon, c'est la lecture ordinaire, qui ne peut trouver de sens qu'en admettant, sans en être dupe, des motivations peut-être illusoires, mais sans lesquelles, il n'y a aucun intérêt à perdre son temps la tête dans des bouquins.

Commentaires

24 décembre 2012 : Roland Barthes, Mythologie (posté le 25/12/2012 à 09:16)

Les mythes, pour Barthes, ont pour particularité d'être des objets historiques qui se font passer pour naturels. En lisant les Mythologies aujourd'hui, on est d'abord frappé par leur côté daté. Les certitudes et les habitudes d'il y a un demi-siècle sont devenues des reliques, des bizarreries, de vagues souvenirs ou d'illustres inconnus. Qui parle encore de Minou Drouet, du Guide bleu et de Poujade? Les mythes se sont évaporés. Qu'en est-il de leur fondement, ce monde petit-bourgeois dénoncé par Barthes? Là aussi, ça sent son époque. Les bourgeois contre les prolétaires, ça sonne guerre froide, intellectuel de gauche de jadis, enfermé dans une pensée elle-même mythologique. Ce qui ne passe plus, dans ces textes, c'est leur certitude d'être objectifs, de décrire la classe oppressante, de la démasquer, comme si la lutte des classes n'était pas elle aussi un mythe. Peut-être ce sentiment que tout cela a disparu vient-il de la victoire des mythes bourgeois à la chute du communisme. Que serait une mythologie d'aujourd'hui? Minou Drouet s'est transformée en Justin Biber, et les coureurs du Tour de France, ces héros d'épopées grandiloquents, ces Coppi, ces Geminiani, ces Kubler et ces Bobet, sont devenus des bobets sans majuscule et sans honneur. Elles seraient désabusées, grinçantes et futiles, les mythologies d'aujourd'hui.

Commentaires

Page suivante

Site créé gratuitement grâce à OnlineCreation.me


Tous droits réservés