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          | Histoire

7 janvier 2017 : Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L'événement Anthropocène, La Terre, l'histoire et nous (posté le 07/01/2017 à 11:12)

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, l'anthropocène, où l'être humain a modifié la planète à tel point que les équilibres construits fragilement durant les millénaires précédents se sont effondrés. Il ne suffit pas de le constater, même si certains, malgré l'évidence, en doutent encore. Il s'agit de comprendre cet événement majeur. Ce livre se sert pour cela de l'histoire et il montre les liens innombrables entre les activités humaines et les bouleversements de la terre. Il montre par exemple le poids énorme des guerres et des technologies de pillage qu'elles ont créées, particulièrement entre 1939 et 1945, et que l'on a conservées en temps de paix. Il montre le lien intrinsèque entre le développement du capitalisme mondialisé et l'exploitation sans fin de la planète, pour poursuivre la croissance, la sacrée croissance sur laquelle repose notre société de gaspillage. Il montre aussi que l'anthropocène est avant tout occidentale et qu'elle repose sur le creusement des inégalités, d'abord au temps de colonies puis dans celui de la mondialisation, qui n'est que le nouveau déguisement de la colonisation. Il montre enfin que les critiques faites contre ce système suicidaire ne sont pas nouvelles, que les résistances ont dès le début été nombreuses mais que le récit dominant a réussi à faire passer pour naturel (que ce mot est ironique ici…) la séparation de l'homme et de la nature et la nécessité de consommer tout ce qui peut l'être. Tous ces discours qui nous poussent à continuer la course contre le mur ont encore pignon sur rue. Un tel livre peut servir à leur opposer d'autres récits et d'autres organisations du monde. Mais n'est-il pas trop tard? 

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14 décembre 2016 : Nabil Mouline, Le Califat, Histoire politique de l'islam (posté le 14/12/2016 à 22:18)

Avouons nous y être perdu. L'histoire de l'islam, pour un occidental, semble une longue succession de conflits internes, de luttes d'influence, de discussions en légitimité et de guerres. L'islam, affirme ce livre, cherche à retrouver le temps mythique des califes bien guidés, les quatre premiers, chefs religieux et politiques qui auraient été des exemples à suivre. Bien sûr, il s'agit d'une légende, mais on s'accroche aux légendes et dès lors les califes ont déçu, au point de devenir de simples pions sans pouvoir puis de disparaître totalement lors de la chute de l'Empire Ottoman. Ceux qui renaissent aujourd'hui des cendres d'un monde musulman en crise, en croyant faire renaître un paradis perdu, bâtissent un enfer. L'histoire tue les légendes et les légendes tuent les hommes. 

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11 novembre 2016 : Lacy Collison-Morley, Les Borgia (posté le 11/11/2016 à 18:08)

Les princes de l'Eglise à l'orée de la Renaissance sont plus prince que d'Eglise. La famille Borgia et sa ribambelle de scandales incarne cette époque où tout semblait permis : les papes avaient des enfants, les cardinaux des concubines et les indésirables goûtaient au poison. Ce livre raconte le parcours d'hommes et de femmes passionnés et sans scrupule, du pape Alexandre VI à son fils César, cardinal puis duc, toujours en bataille ou en orgie, en passant par Lucrèce, la fille adorée, mariée trois fois à l'âge de vingt-deux ans. On y assiste aux conflits des grandes familles d'Italie, que les Borgia, espagnols, dévorent petit à petit, avec la complicité du roi de France. Puis on voit la chute, le pape mort (assassiné?) et son fils banni. Certes, on ne raconte plus l'histoire ainsi, comme un roman, mais le tableau, scandaleux à souhait, est bien brossé. 

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27 octobre 2016 : Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIème Reich (posté le 27/10/2016 à 10:54)

Roland Barthes écrivait toute langue était fasciste. Exagérait-il? Ce livre montre comment une langue, l'allemand, s'est transformée et a transformé le monde qui l'entourait au point de pousser des millions d'êtres humains au crime et à l'humiliation. Victor Klemperer, philologue juif allemand, montre comment la langue de tous les jours, celle des journaux, celle des conversations, celle de la rue, contraint ceux qui n'y résistent pas - et peu résistent - à penser comme les nazis, à donner un sens positif à des mots péjoratifs comme "fanatisme", à cacher les défaites de la Wehrmacht, à cristalliser un juif essentiel sur le lequel on se déchaînera lors de la Nuit de Cristal et de mille autres nuits d'horreurs, à travestir la réalité, à l'aryaniser (le terme lui-même est en LTI), à rendre acceptable l'inacceptable. Ce livre d'un savant qui fait son métier est un acte de résistance extraordinaire. A l'heure où il était interdit de penser par soi-même, surtout quand on était juif, Victor Klemperer s'acharne à noter tout ce qui rend la langue nazie criminelle, il prend le risque de se faire arrêter et déporter, mais il laisse un témoignage primordial : si on ne se méfie pas de la manière dont la langue est utilisée, elle peut devenir une arme d'une puissance immense parce que sa cible est le cerveau humain. Le travail de Klemperer est à poursuivre, car la LTI est sans doute morte, mais d'autres pouvoirs s'emparent tous les jours de la langue pour lui faire dire ce qui est dans leur intérêt et non dans celui de ceux à qui elle s'adresse. La langue est bel et bien fasciste, sauf si ceux qui la parlent sont vigilants. 

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19 septembre 2016 : Régis Debray, La guérilla du Che (posté le 19/09/2016 à 19:25)

Comment et pourquoi le Che est-il mort? L'un de ses compagnons essaie de résoudre l'énigme, d'expliquer l'échec de la guérilla lancée par Guevara en Bolivie. Beaucoup d'erreurs ont été commises : manque de liens avec les habitants des lieux, conflit avec le parti communiste bolivien, aucune base sociale dans l'endroit choisi pour commencer la guérilla, mauvais timing, folie des grandeurs en pensant la guerre à l'échelle du continent, rupture entre l'arrière-garde et le reste du groupe, trahisons, désorganisation et finalement émiettement des guérilleros. Ce livre montre avec précision que la guérilla était vouée à l'échec. On aurait néanmoins souhaité - même si ce n'est pas le propos du livre - que Régis Debray témoigne sur le quotidien des camarades du Che, sur la geste héroïque qu'il a vécu, sur la tragédie finale. Etrangement, ce livre d'un témoin très proche des événements marque trop de distance, comme s'il était nécessaire de prendre la posture de l'analyste pour parler de la passion révolutionnaire sans tomber dans la grandiloquence. On aurait souhaité plus de romantisme. 

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30 août 2016 : Svetlana Alexievitch, La supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse (posté le 30/08/2016 à 15:46)

Qu'est-ce que Tchernobyl? Ce livre pose les témoignages les uns à côté des autres, sans commentaires. Il laisse la parole aux gens de Tchernobyl. Habitants, liquidateurs, scientifiques, hommes, femmes, enfants, soldats, paysans, tous disent leur Tchernobyl et tous sont perdus. Tchernobyl est impensable. Ceux qui ont vécu la catastrophe n'y comprennent rien. Il y a la radiation mais on ne la voit pas. On doit partir mais la nature semble encore vivante. Ce n'est pas vraiment la guerre même si c'est toujours la comparaison qui saute aux yeux mais s'avère fausse. Ce qui ressort de ces témoignages, c'est aussi le mensonge d'Etat qui a suivi Tchernobyl, les populations laissées dans l'ignorance, les conséquences sur la santé négligées, les "volontaires" envoyés contre leur gré "nettoyer" Tchernobyl, ces liquidateurs qui seront vite tous liquidés par des maladies nouvelles, inconnues, terribles, qui ne finissent pas avec la mort, parce que leurs cercueils aussi sont radioactif. Tchernobyl, c'est la preuve de l'échec du communisme soviétique et c'est bien plus que cela. C'est un crime contre l'humanité qui risque à tout moment de se reproduire si l'on ne décide pas de mettre fin une fois pour toutes à l'ignominie du nucléaire. 

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17 août 2016 : Amin Maalouf, Les croisades vues par les Arabes, La barbarie franque en Terre sainte (posté le 17/08/2016 à 07:36)

Renverser le point de vue est toujours intéressant. Ce livre raconte les invasions subies par les Arabes au temps des Croisades. On y voit l'effroi suscité par ces hordes sauvages qui pénètrent leurs terres et massacrent tout au passage, car les Croisades, c'est avant tout une agression des chrétiens contre les musulmans. On y voit aussi la division des chefs arabes, incapables de faire face à une invasion au départ assez anodine à cause d'incessantes querelles de succession, d'intrigues de palais, d'incompétences; puis on assiste au réveil des assiégés, à leur union autour d'hommes forts comme Noureddin puis Saladin et à leur victoire finale. Ce récit montre les racines de la haine des Arabes pour les Occidentaux. C'est nous qui les avons agressé en premier. Cela fut ressenti comme un viol, dont une bonne part du monde musulman semble ne pas s'être encore remis. Bien sûr, on aurait aimé que ce livre ne se limite pas à la chronique des batailles et des intrigues politiques, qu'il nous montre aussi les réactions populaires et la vie quotidienne au temps des Croisades, mais il donne déjà une bonne idée des ravages que peuvent provoquer le fanatisme religieux. 

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31 juillet 2016 : Frantz Fanon, Les damnés de la terre (posté le 31/07/2016 à 13:32)

Sommes-nous sortis du colonialisme? A l'époque où ce livre est écrit, on est en pleine décolonisation et Frantz Fanon montre à la fois à quel point l'homme colonisé a été opprimé, nié, déshumanisé par le colonisateur et à quel point le réveil de sa conscience est un réveil - violent, certes - de son humanité, de sa liberté, de sa vie mise entre parenthèses pendant un siècle. Il montre que le colonisé, l'Africain en particulier, ne se libèrera pas en imitant le colonisateur, que quand la petite bourgeoisie locale à l'esprit européanisée prend le pouvoir, elle devient pire que le colons, que c'est au peuple des campagnes de se saisir de sa liberté et de lutter pour son indépendance. Cinquante ans plus tard, le combat semble s'être enlisé: les petits bourgeois corrompus accaparent toujours le pouvoir, les firmes européennes (et, plus discrètement, les Etats) ont pignon sur rue, les pauvres courbent l'échine, ils ont juste changé d'esclavagistes. Frantz Fanon avait compris qu'il fallait plus que remplacer l'élite ancienne par une élite nouvelle pour changer véritablement un système qui, hier comme aujourd'hui, se base sur l'exploitation des faibles par les puissants. 

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19 juillet 2016 : Alain Corbin, Histoire du silence, De la Renaissance à nos jours (posté le 19/07/2016 à 15:31)

Etrangement, cette histoire du silence - peut-elle faire autrement? - est bavarde. Elle cite beaucoup les grands auteurs. Elle parle du silence de Dieu, de celui de la nature, de celui de l'art, de celui de l'amour, mais au fond elle ne dit pas, elle fait silence sur ce qu'est véritablement le silence. Cette histoire est une histoire sans objet, puisque le silence n'est rien. Est-il la simple cessation de parole? Est-il plus? Les auteurs cités s'y perdent, tâtonnent, cherchent dans le désert, lieu silencieux par excellence, mais le silence échappe. Tantôt il unit, tantôt il sépare. Tantôt il pèse, tantôt il libère. Tantôt il révèle, tantôt il cache. Le silence, semble-t-il, n'a pas d'histoire. Il est hors temps. Son histoire, comme ce livre, ne peut donc être qu'une approche hésitante de la part des humains qui n'ont d'autre choix que de dire le silence et donc de le violer. 

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15 juillet 2016 : Keith Lowe, L'Europe barbare, 1945-1950 (posté le 15/07/2016 à 13:11)

S'il est une période de l'histoire du vingtième siècle que généralement on néglige, c'est bien celle-là, cet immédiat après-guerre qui semble soudainement bâtir le rideau de fer et figer l'Europe dans la guerre froide pendant plus de quarante ans. Or les années qui suivent la guerre en sont le prolongement. Le conflit ne s'arrête pas d'un coup. Il se poursuit. Ce livre montre les tragédies de cet après-guerre : les Allemands qui doivent quitter leur terre ou qui sont persécutés, les Juifs dont on ne veut pas le retour, les prisonniers que l'on maltraite, la vengeance qui sévit partout, les minorités ethniques, en Pologne, en Ukraine, un peu partout, qui doivent fuir, les violences qui se perpétuent, les partisans baltes qui ne jettent pas les armes face aux communistes, les mouvements de résistance qui continue à s'entre-déchirer, les communistes qui détruisent toute opposition en Roumanie, les Occidentaux qui font de même en Grèce, la guerre qui souvent ne se terminent que bien des années après sa fin officielle. En mettant à mal les mythes de l'après-guerre, en montrant les effets catastrophiques d'une guerre aussi terrible de celle de 1939-1945, en dévoilant la récupération nationaliste des événements, ce livre apporte un éclairage nécessaire à l'histoire de l'Europe qui, peut-être, ne s'est jamais vraiment remise de sa guerre fratricide. 

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