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| Roman

3 avril 2016 : Tanguy Viel, La disparition de Jim Sullivan (posté le 03/04/2016 à 15:37) |
Ce roman américain à la française (ou français à l'américaine) semble se chercher, entre parodie et drame. Il passe en revue tous les clichés US : le personnage est un professeur d'université cocu qui s'amourache d'une de ses étudiantes et lui donne rendez-vous dans des motels; l'auteur imagine, plus qu'il ne décrit, des scènes de barbecues ambigües où se devinent des amours adultères; on roule des jours entiers dans des voitures increvables et des déserts tragiquement splendide; on ne s'en est pas remis du Vietnam et on se laisse embarquer dans de louches combines surveillées par le FBI; on s'arrête sur une autoroute déserte au milieu de la nuit; on surveille son ex en sirotant une bouteille de whisky qu'on laisse traîner sur le siège passager; on se ressource dans une cabane de pêcheur au milieu de nulle part; bref, rien ne nous est épargné, mais, pour une fois, l'auteur semble conscient qu'il ressasse des thèmes usés et c'est parce qu'il est écrit par un français que ce roman américain se lit avec tant de plaisir. | |
23 mars 2016 : Damien Murith, Les mille veuves (posté le 23/03/2016 à 20:27) |
Tout, dans la brièveté de ce roman, semble allusif. Et pourtant, la mer avale l'homme et assassine sa rivale. Ils s'aiment mais il est marin. Elle veut qu'il reste, qu'il devienne terrien. Il cède. C'est impossible. Le drame est inévitable. La tragédie n'est pas bavarde. Elle est une vague qui se rapproche, insensible et fatale. La vie, comme les navires, échoue. | |
20 mars 2016 : Matthias Zschokke, Maurice à la poule (posté le 20/03/2016 à 21:00) |
Etrange roman qui ne raconte presque rien, un homme, Maurice, de la musique de l'autre côté du mur, Berlin, une vieille dame immobile et mourante, des lettres à un ami, des vitres à laver tous les ans, un paresseux dans un café. Ce qui séduit dans ce fatras, c'est le ton, cet humour teinté de pensée qui observe le temps qui passe sans se sentir tout à fait concerné. Parfois, Maurice s'en va, voyager dans des villes qui le fatiguent. Souvent, il s'arrête (de faire quoi?) et il fantasme sur une violoncelliste ou un pianiste qu'il refuse de situer dans l'espace. D'autres fois, cela pense (est-ce Maurice qui pense? l'auteur? les mots qui pensent tout seuls?) au vieillissement, à la paresse, à l'enfance, aux moments banals qui font la vie. Le lecteur se laisse bercer (ou berner?). Maurice n'est qu'un enfant qui porte une poule sur un tableau. Il n'est rien. Ce roman non plus. La vie non plus. | |
2 février 2016 : Jonathan Swift, Voyages de Gulliver (posté le 02/02/2016 à 17:18) |
Les voyages toujours sont des miroirs reformants. En se confrontant à des êtres minuscules, puis à des géants, Gulliver ne sait plus s'il est grand ou petit. Il invente ainsi un regard neuf sur la vie ordinaire, sur l'Angleterre et sur l'humanité banale. Ce regard décentré n'est pas à l'avantage des Anglais, même s'ils semblent plus raisonnables que les savants obsédés de mathématiques et de musique de l'île volante de Laputa qui ne sont sans doute que des reflets exagérés des vices habituels. C'est surtout le peuple des Houyhnhnms, ces chevaux si supérieurs aux ignobles Yahoos à la forme humaine, qui permet à Swift de dire tout le mal qu'il pense de l'espèce humaine, toujours prompte à la chose-qui-n'est-pas, c'est-à-dire à mentir, à se jalouser et à se battre. Non seulement, ces voyages sont remplis d'inventions merveilleuses et de situations cocasses, mais en plus, ils sont un chef-d'oeuvre d'ironie, de remise en cause des codes sclérosés et de misanthropie. | |
16 décembre 2015 : Colm Toibin, Le Testament de Marie (posté le 16/12/2015 à 23:01) |
Et si enfin on lui donnait la parole? Et si enfin on voyait en elle une femme? Dans ce beau roman, Marie assiste, impuissante, à la folie de son fils. Elle voudrait l'en empêcher, le reprendre à la maison, le séparer de ses disciples, le dissuader de toucher à la mort, de ressusciter Lazare pour en faire un malheureux, puis, elle le voit mourir, ce fils perdu, elle souffre avec lui et, humaine, trop humaine, enfin humaine, elle fuit. Deux hommes alors viennent lui raconter des histoires. Ils lui parlent du père de son enfant. Elle pense à son mari disparu. Ils voudraient qu'elle les suive dans leurs délires. Elle aurait voulu que tout cela n'ait pas eu lieu. Dieu que cette Marie est plus forte que celle de la légende! | |
20 septembre 2015 : Günter Grass, L'appel du crapaud (posté le 20/09/2015 à 13:40) |
Etrange histoire d'amour et de mort, ce roman tente la réconciliation de l'Est et de l'Ouest. Il est allemand; elle est polonaise. Ils aimeraient réunir les ennemis de jadis dans la mort, à travers un projet de cimetières unis. Le projet séduit. L'amour croît. Les crapauds croassent. Mauvais présage. On enterre les Allemands de Gdansk dans un cimetière à eux, mais d'autres Allemands veulent profiter de l'aubaine; alors on accole aux cimetières des maisons de retraite, puis des terrains de golfe. Enfin, on rapatrie des cadavres. Le profit bouffe la mort qui voulait réconcilier. On fait du fric avec les trépassés comme des marchands de rickshaws bengalis. Le couple abandonne la mort pour la vie. Ils n'auront été que deux à se réconcilier. | |
20 août 2015 : Yannick Haenel, Les Renards pâles (posté le 29/08/2015 à 18:10) |
D'un homme qui se replie dans sa voiture à l'embrasement de Paris, ce roman couve une révolte. Il cherche à échapper à la tyrannie d'un monde qui contrôle tout. Le récit passe de l'individuel au collectif. Tout d'abord, c'est la solitude qui ouvre un monde nouveau, des sensations réelles, une liberté qui échappe au travail, au logement, à l'argent. Puis des signes mystérieux viennent donner du sens à la vie errante : des inscriptions sur les murs, "La société n'existe pas", "La France, c'est le crime", un étrange dessin (poisson, renard, dieu?), des rencontres, la reine de Pologne qui jette un livre dans une piscine, des éboueurs maliens, un pied de clochard échappant des poubelles. La deuxième partie oublie tous ces noms, elle vêt de masques la révolution, elle fout le feu aux papiers d'identité et aux voitures, elle invente un espoir noir dans un monde qui ne survit qu'en écrasant ses déchets humains. Cette révolte est-elle possible? Le roman permet de la rêver, étape nécessaire avant le réveil. | |
21 juillet 2015 : San-Antonio, Bas les pattes! (posté le 21/07/2015 à 17:59) |
Quand San-Antonio découvre Chicago, tous les clichées y passent : les maffieux qui ont pignon sur rue, les flics ripous, les danseuses qu'on assassine, les ascenseurs gigantesques, les portes où il est écrit "private" comme dans les films, la réputation du french lover que San-Antonio se fait un devoir de défendre, etc. Ce premier San-Antonio américain, c'est un peu Les gendarmes à New-York avec quelques cadavres en plus. Le modèle américain, si usé aujourd'hui, reste mystérieux pour le Français moyen qu'est le fiston de la brave Félicie. Il s'y casse quelques dents mais s'y habitue vite. Là où il y a de la castagne et de la fesse, San-Antonio est à la maison, de toute façon.
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19 juillet 2015 : San-Antonio, Rue des Macchabées (posté le 19/07/2015 à 22:28) |
Je retrouve mon ami San-Antonio, comme chaque été, toujours aussi enjoué, mais encore un peu vert (ou pas encore assez vert, selon le sens, propre ou sale, qu'on donne à cet adjectif). Il court au hasard après des gens louches, découvre des moutons dans des chaudières (la aussi, ne pas se méprendre sur le sens du mot, tout à fait propre) et rencontre une galerie de concierges imbibées. Bien sûr, l'affaire est abracadabrantesque, mais il manque quelques épices (qui poussent) pour que la sauce prenne : les souris (dans le sens sale cette fois), les sauvetages improbables d'une mort certaine, quelques jeux de mots un peu plus osés. Bref, San-Antonio, en 1954, est encore un peu coincé. | |
13 juillet 2015 : Jean Teulé, Le Magasin des Suicides (posté le 13/07/2015 à 11:49) |
S'il est un marché d'avenir, c'est bien celui-là, faire du profit sur le dos des malheureux étant le principe même du capitalisme. Jean Teulé imagine un magasin où on ne vendrait que de quoi en finir avec cette triste vie : sabres pour hara-kiri (le vendeur s'appelle Mishima), cordes, parpaings pour se noyer, revolvers à un coup, bonbons au cyanure ou - succès garanti - baiser de la mort dans les bras de Marilyn. Mais voilà, il y a toujours des gâche-métiers, des Grecs qui viennent demander des sous aux Allemands. Un des enfants de cette boutique qui marche du tonnerre a la mauvaise idée d'être heureux. Il fout le souk dans le lugubre ordonnancement du magasin, redonne espoir aux clients, trafique les marchandises. Scandale. Laissez-nous vivre malheureux en paix! La fable est jolie, elle insinue un sourire dans les gueules d'enterrement, elle rappelle que l'espoir fait vivre. | |
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