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          | Poésie

10 août 2013 : Ossip Mandelstam, Tristia et autres poèmes (posté le 10/08/2013 à 18:33)

Il se voulait l'ami des Grecs anciens et de l'Italie renaissante. Il cherchait dans la forêt des mots à dire un monde simple, mais le siècle, ce siècle fatal qui revient de plus en plus souvent dans ses poèmes, le ronge. Il n'est pas un Hellène du temps de l'élégie. Il est un Soviétique du temps de l'ogre. Il voit fondre sur son monde songeur la bêtise des censeurs réalistes. Peut-on inventer une langue plus anticommuniste que ce lyrisme fasciné par les grands rites sombres, que ce regardeur solitaire d'un monde qu'on n'assomme pas de formules précuites, que ce suicidaire qui, pour qu'on en finisse avec lui, dit de Staline la vérité? Cela s'est remarqué. Il en est mort. 

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2 août 2013 : Léo Ferré, Poète... vos papiers! (posté le 02/08/2013 à 22:29)

Les mots de Léo sont crachés, ils sont hurlés à la gueule des gribouilleurs, ils sont l'incantation d'un magicien qui colle au sol, qui affirme une liberté totale et scandaleuse, qui ne se laisse endimancher par aucune religion, aucun parti, aucune école poétique. Il sent bien sûr son Baudelaire et son Rimbaud, il poétise la charogne, la crevure et l'azur, il se laisse enivrer par des filles publiques, il renifle et il rote, mais toujours avec élégance et avec grandeur. Léo Ferré a le mot leste et le cri grave. Il dit sans fioriture mais de travers ce que son ventre injecte au papier, ce que le micro aspire de sa voix, ce que le chant magnifie, et sa poésie cogne le lecteur trop faignant, qui se réveille d'une torpeur dans laquelle jamais Léo ne se serait vautré. 

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8 avril 2013 : André Breton et Philippe Soupault, Les Champs magnétiques (posté le 08/04/2013 à 09:30)

Laisser venir les mots, les laisser inventer une réalité autre, méthode poétique efficace? Les errances automatiques alternent bizarreries et ambiances brumeuses, mondes à la Dali et beaux mots qui, parce qu'il leur reste un brin d'artifice, tombent, comme un cheveu sur la soupe. Parfois le choc fait sourire, souvent il égare, monde de mots dits, de maudits mots, comme dans un brouillard, dans un rêve, ailleurs que dans la langue ordinaire. Les hommes et les femmes, les machines à coudres et les parapluies dialoguent mais ne se parlent pas. Toujours, la réplique fuit la question, ouvre une brèche vers l'inconnu, et cette langue faite de clichés et d'inventions dit en silence ce que la communication empêche.

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11 janvier 2013 : Pierre Reverdy, Plupart du temps (posté le 11/01/2013 à 19:50)

Toujours, quelque chose échappe. Il y a une fenêtre, un mur, des gens qui passent, un air de guitare, un toit, peut-être un rayon de soleil. Que se passe-t-il? Rien, et tout. Le poète découpe les mots, les désassemble. Il les dispose, en vrac ou en supplément de sens, sur la page, pleine de prose ou presque vide. On lit ceci sans comprendre, effleuré par des bribes de réalité, quelques mots qui s'envolent, des formule magiques, toujours un entre-deux, le seuil d'une porte fermée, un chemin à côté d'une maison sans habitant, un rêve qui tente de se lever. A la fin, c'est comme si on n'avait pas lu. La vraie poésie ne dit rien, elle murmure.

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3 novembre 2012 : Joachim du Bellay, Les Regrets, Les Antiquités de Rome, Défense et Illustration de la Langue française (posté le 03/11/2012 à 17:40)

Au début, Du Bellay agace un peu. Il n'arrête pas de se plaindre, de geindre, de regretter sans bouger. Mais il sort de sa torpeur, et nous avec, quand il commence à parler du monde qui l'entoure, cette Rome qui n'est plus que l'ombre d'elle-même, le ridicule de ceux qui s'y pavanent, le règne de l'apparence et le luxe sans gloire des parvenus qui se croient importants. La plume de du Bellay passe de la mélancolie au curare, piquant élégamment ses contemporains ou rêvant de l'ingrate patrie qui s'éloigne, défendant sa langue qui peut, à l'instar des langues antiques, tout dire et bien le dire. Sa langue pourtant, à du Bellay, nous semble trop corsetée, pas encore assez affirmée, et on la lit désormais comme lui lisait les langues anciennes.

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13 août 2012 : Clément Marot, L'Adolescence clémentine (posté le 13/08/2012 à 17:28)

Ecriture de jadis où se mêlent vieux mythes antiques, piété chrétienne et louanges amoureuses, ce recueil nous plonge dans un temps où la poésie servait, sinon à quelque chose, du moins à quelqu'un, un prince que l'on flatte, une dame que l'on révère, un Dieu que l'on adore. Ces pièces de circonstance, quel plaisir peuvent-elles procurer au lecteur d'aujourd'hui, étranger aux gens d'hier? Le plaisir qui reste, c'est celui du jeu des mots dans les formes fixes, notamment dans celle du rondeau, qui, par le retour, au milieu et à la fin, des premiers mots du poème, joue sur les sens d'une formule souvent magique. Encadrés de règles strictes, les poésies de Marot ont la fraîcheur des enfants qui s'amusent à ne pas dépasser les lignes en coloriant. Le dessin est souvent le même, vu mille fois, mais on le regarde quand même, parce que le poète s'y bien appliqué et que les couleurs sont souvent assez originales.

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25 juillet 2012 : Paul Valéry, La Jeune Parque, et poèmes en prose (posté le 25/07/2012 à 17:02)

Poésie trop abstraite pour que j'y entre vraiment, sauf quand ce sont des fragments d'utopies qui construisent des mondes autres, sur des îles, toujours, où la vie de l'esprit est aussi réglée que celle du corps, où l'on vend de la pensée dans des boutiques, où l'esprit prend corps. Dans "La Jeune Parque", on a l'impression que c'est le contraire : le corps prend esprit, se cherche un être, se demande qui il est et d'où il vient. Bien sûr, Valéry n'a pas le mauvais goût de répondre à ses questions, et laisse flotter un mystère, mais je reste sur le seuil, comme s'il me fallait toucher des mots plus tangibles, et comme si la pensée et la poésie devaient divorcer.

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18 juillet 2012 : Louis Aragon, Les yeux d'Elsa (posté le 18/07/2012 à 09:03)

Comme le saumon, je remonte gentiment vers la source : Le Fou d'Elsa, Elsa, Les yeux d'Elsa. Les écrits changent, l'amour reste. Ce premier mouvement invente un clacissisme renouvelé pour dire, inspiré des trouvères de jadis et d'Apollinaire, la dame aimée malgré la guerre, les yeux qui rendent l'oubli possible, l'amour comme acte de résistance à la folie meurtrière. Ecrire de la poésie amoureuse en 1942, c'est cracher à la gueule d'Hitler aussi. La rime, avec laquelle Aragon s'amuse tant, est française, c'est un bien national qu'on ne peut pas spolier. Laissons donc la parole au poète :

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa

Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent

Moi je voyais briller au-dessus de la mer

Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

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10 juillet 2012 : Louis Aragon, Elsa (posté le 10/07/2012 à 12:53)

La poésie amoureuse, démesurément lyrique, semble s'échapper à elle-même. Elle joue avec les clichés, n'y tombe que quand c'est nécessaire, chantant non pas la femme aimée (ou non pas que la femme aimée) mais chantant le chant de la femme, cette Elsa écrivain elle aussi, méfiante des mots trop usés, vendant ses roses à crédit. Aragon cherche la forme juste pour dire ces mots si simples de l'amour, tourne autour du pot, libère et garotte ses vers, puis les métamorphose prose ou théâtre, décor mouvant duquel ne sortent que peu de paroles, pas même un dialogue, juste un bruit, "mon amour", et le rideau qui se referme sur l'intimité. Le poète regarde la femme qui dort, sent sa solitude au coeur de l'amour partagé, s'efforce d'oublier un passé interdit, se demande à quoi tout cela rime, et invente une rose qui déjà s'est réveillée et qui déjà s'est échappée.  

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3 juillet 2012 : Victor Hugo, la Fin de Satan (posté le 03/07/2012 à 11:47)

Il n'y a que Victor Hugo pour mettre en scène sans pudeur la lutte métaphysique du Bien et de Mal, et pour chanter les douleurs du sombre Satan sans perdre son sérieux. Fresque du malheur, de Nemrod, qui s'envole sans atteindre le ciel, à l'ange déchu (pourquoi l'est-il?) qui tombe sans fin dans l'ombre, La Fin de Satan porte à son sommet le combat hugolien du haut et du bas, de la lumière et des ténèbres, de l'immense et de l'infime. On y retrouve la voix tonitruante du gueuleur sublime, qui convoque Caïphe, le Déluge et le Christ, puis laisse chantonner les petits oiseaux. On y entend les plus virulents cris de haine et la déclaration d'amour du damné à son bourreau. On y voit des soleils disparaître. On y sent le froid de l'ange hiver immobile et sinistre. On y goûte l'âpre noirceur du gouffre, et on sent naître, au terme d'un poème qui reste par bonheur inachevé, l'espoir d'une fin, dans un mot simple et mystérieux, ce "Va!" que dit Satan à sa fille Liberté.

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