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          | Ma musique

Ecrire sur et à partir de la musique a-t-il un sens? Souvent, il semble que la musique se suffit à elle-même, mais je ne peux m'empêcher de lui donner des mots, de la décrire ou de l'interpréter, de me souvenir des cadeaux qu'elle m'a offerts, des émotions qu'elle m'a procurées et du silence qui s'est brisé grâce à elle. 

J'écrirai donc, au hasard de mes musiques, ce qu'elles m'inspirent. 

Jean-Philippe Rameau, Prologue de la suite les Indes galantes, IX. Contredanse, par l'Orchestre du 18ème siècle, sous la direction de Franz Brüggen (posté le 28/07/2014 à 11:54)

Les Indes, vues de la cour du roi Louis, se résument à une danse de cour où l'on tape un peu plus fort des pieds que d'habitude. Rameau se fout bien de l'exotisme. Il laisse cela aux costumiers. Lui, il marie cordes et flûtes avec énergie, joue au jeu des questions et des réponses, martèle un refrain vif qui fendille les parquets de Versailles. 

L'air de rien, il parvient à donner à nos pieds ignares l'envie d'entrer eux aussi dans la danse. 

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Georges Brassens, Le vieux Léon (posté le 27/07/2014 à 16:56)

Chanter la mort sur un air de bastringue et de java, ça ne se fait plus. Les prudes et les pisse-froid se diront  choqués. Sérieux comme des cons, ils invoqueront l'éthique, la décence et le respect pour les victimes de la vie.

Par bonheur, il reste la guitare et les mots de Georges Brassens, ses trouvailles merveilleuses ("mener le bal à l'amicale des feux follets", "tous sont restés du parti des myosotis", j'en passe, il faudrait citer toute la chanson). Peut-on chanter avec plus de justesse un vieux copain (pas un ami, trop solennel, le Léon de Brassens n'est pas le Jojo de Brel; pas un camarade, trop politique) qui est passé de l'autre côté? La mort, chez Brassens, cède le pas à la vie, elle goûte un petit bleu de derrière les fagots, elle pinçotte les popotins rebondis ou pointus des belles dames du temps jadis, elle rigole pour faire semblant de ne pas pleurer, elle préfère sortir la renifle que les grandes orgues. 

Brassens est sans doute un aussi bon mort qu'il a été un bon vivant. 

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Johann Sebastian Bach, Premier mouvement du Concerto brandebourgeois n°5, par le Berlin Bach Orchestra (posté le 27/07/2014 à 00:24)

Faisons le pas de plus : pourquoi Bach? La question est bien entendu idiote, tant Bach s'impose de lui-même, tant les mots sont superflus, tant dire qu'il allie science et légèreté est une banalité recuite mille fois, tant souligner la virtuosité de sa musique, sa construction parfaite, son génie éclatant dans une époque corsetée, est une vérité de la Palisse. 

Disons-le : Bach est fou. Tout à coup, la musique que nous croyions connaître s'emballe, elle court vers où on ne l'attendait pas, elle trouve un accord qui fait tache, mais tache de joie, ex cursus merveilleux quand quand le tapis de clavecin s'effiloche sous le charme de la flûte. On se dit alors qu'on pourrait passer sa vie à écouter Bach et qu'on appellerait ça une vie heureuse. On se dit aussi qu'on a beaucoup trop écrit sur Bach et qu'ajouter une pierre de plus n'agrandira pas un édifice déjà immense. Laissons juste le clavecin jouer. Et jouir. 

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Johann Sebastian Bach : Toccata de la Toccata et Fugue en ré mineur, BWV 565, par Simon Preston (posté le 27/07/2014 à 00:01)

Pourquoi cette toccata-là? Peut-être parce que l'orgue y exulte, qu'il y amuse toute sa tuyauterie, qu'il y est à la fois sérieux, digne de son rang de pape des instruments, et léger, quand les doigts s'agitent entre deux accords puissants qui se cherchaient dans l'agitation sacrée. 

Existe-t-il une église sur terre qui jamais n'entendit ne serait-ce que l'appel vers la fugue infinie? Existe-t-il un orgue qui ne connaît pas par coeur cette toccata? Sans doute pas, parce qu'il est des musiques qui s'imposent comme des évidences, des transcendances, des sons parfaits dont aucune oreille ne saurait se passer. Celle-ci en est une. 

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Carlos Gardel, La Cumparsita (posté le 26/07/2014 à 20:43)

L'incandescence, le feu de la passion, le rouge sur les lèvres mordantes, l'Argentine des bouges et des palaces, la voix rauque et le mot coraçon, voilà une musique qui monte des entrailles et qui emporte l'âme pour prendre corps. 

Plus encore que Piazzolla, Carlos Gardel (ce nom à lui seul porte en lui tous les frémissements et tous les gémissements des amours tragiques) incarne l'énergie sombre du tango, sa lancinante obsession qui vous saisit les tripes, son appel au péché violent de la chair exultante et à la souffrance du cante rondo de ceux qui sont revenus de tous les naufrages et de toutes les meurtrissures que les femmes, fatales, font au fond du coeur, devenus ce coraçon jadis désirant, aujourd'hui déchirant et déchiré parce que pas assez désiré. 

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John Lee Hooker, Ride till I die (posté le 26/07/2014 à 12:37)

Le son sale et merveilleux d'un saxophone fou balance l'âme du bluesman. Il lui file une énergie à toute épreuve, le transcende, le porte vers une marche chaloupée qui ne le lâchera qu'au moment fatal de l'ultime titubement. 

Pourquoi ce blues, pourtant si répétitif, prend-il au coeur? Peut-être parce qu'il ne laisse aucun répit et parce qu'impitoyable, il avance, il rue dans les brancards, il crie qu'il est vivant, qu'il s'éclate dans la boue et la poussière, que rien, sinon la mort, ne l'arrêtera. Et encore… Peut-être elle aussi subira-t-elle le charme dévastateur de cette musique ouragan. 

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Johannes Brahms, Deuxième mouvement adagio non troppo - l'istesso tempo, ma grazioso de la Symphonie n°2 en ré majeur op.73, par l'Orchestre Philharmonique de Berlin, sous la direction d'Herbert von Karajan (posté le 20/07/2014 à 09:47)

Peut-on trouver plus romantique que cette mélodie que les cordes et le cor chantent avec délice et douleur, qui se développe à l'infini, qui devient menace d'orage éclatant de noblesse, qui se calme quand les flûtes et le basson semblent se marier, accompagnés par le choeur soyeux des cuivres majestueux? 

Tout dans ce mouvement transpire la passion. Les oreilles n'ont pas de répit. Elles croient s'endormir dans des bois sombres et beaux, mais le coeur continue de battre la chamade, sans heurt, toujours legato, souvent legatissimo.

Est-ce cela le romantisme? Le déferlement doux et violent d'une vie qui à chaque instant préserve son intensité, son calme au milieu des tourments, ses tourments au fond du silence. 

A la fenêtre, l'averse a fait renaître l'azur. 

 

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Astor Piazzolla, De mi Bandoneon (posté le 19/07/2014 à 17:47)

Le blues du Sud profond, le fado de la pampa, le tango de Buenos Aires, c'est l'accordéon qui bande aux néons des bouges (les musiques les plus vivantes sont celles qui y naissent). Tout dans Piazzolla est passion, exubérance, énergie d'une danse à la séduction viol(on)ente et à la sensualité irrémédiable, qui ordonne aux corps de s'aimer, de se mordre, de s'entredéchirer. 

Derrière le rideau, les colonels surveillent : si vous n'êtes pas assez obscènes, vous n'êtes pas dignes de la rage du tango. Si vous n'y croyez pas assez, si votre visage ne se crispe pas au dernier degré, si vous mollissez, vous disparaissez. Le tango ne souffre pas l'ennui. Il le dévore. 

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Sunnyland Slim, Blues Baby (posté le 19/07/2014 à 09:56)

Piano désaccordé pour de faux, harmonica vibrant, guitare heureuse, chanteur noir qui répète sans cesse "Blues Baby", voilà tous les ingrédients du blues d'origine, né de la terre des champs de cotons, grandi dans les bouges de Louisiane, mort happé par la pop. 

Sunnyland Slim (que ce nom sonne blues!) s'éclate. Il se laisse pénétrer par la nonchalance vive d'un malheur qui se transcende. Son blues contient déjà toutes les fulgurances du rock, mais il garde ce balancement que des batteurs trop mécaniques tueront parfois.

Le blues ne se chante pas, il ne se joue pas, il se vit dans les os et dans le coeur broyé par l'esclavage, les femmes, l'alcool, la bêtise d'un monde contre qui il se dresse, fier gibier blessé qui défie le chasseur de primes. 

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Léo Ferré, Clair de lune, poème de Paul Verlaine (posté le 16/07/2014 à 23:42)

"De la musique avant toute chose", voilà le voeu de Verlaine. Ses mots si doux et si sonores se suffisent. Ils sont déjà musique. A quoi bon les affubler d'une mélodie? Léo Ferré, parfois si fantasque, ici, ne rajoute pas grand chose, un rythme monotone comme un sanglot long, une voix qui donne corps aux lettres emprisonnées dans le livre. Il donne à écouter le charme des masques et des bergamasques, il habille de bleu ce qui se chantait sur le mode mineur, il sourit à la surprise du mot "svelte". Surtout, il met en bouche les syllabes tristes et belles d'un clair de lune de papier qui tout à coup titille la réalité. 

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