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| Ma musique
Ecrire sur et à partir de la musique a-t-il un sens? Souvent, il semble que la musique se suffit à elle-même, mais je ne peux m'empêcher de lui donner des mots, de la décrire ou de l'interpréter, de me souvenir des cadeaux qu'elle m'a offerts, des émotions qu'elle m'a procurées et du silence qui s'est brisé grâce à elle.
J'écrirai donc, au hasard de mes musiques, ce qu'elles m'inspirent.
Amalia Rodrigues, Sardeinas (posté le 16/07/2014 à 12:45) |
Sous le soleil de Lisbonne, les lavandières pleurent-elles encore leurs amants noyés? La voix d'Amalia Rodrigues (j'ignore ce qu'elle dit et ne puis que savourer la sonorité liquide de la belle langue du Portugal) raconte-t-elle un amour qui tourna mal, un voyage sans retour ou la peine des paysans qui s'acharnent sur de trop arides terres? J'entends dans sa voix chaude la prose si puissante de José Saramago : "Les couleurs ne manquent pas à ce paysage-ci. D'ailleurs, pas seulement les couleurs. Il est des jours aussi rudes que le froid qui leur est inhérent, d'autres où la chaleur est si forte que l'air semble avoir disparu : le monde n'est jamais content, et comment pourrait-il l'être tant il est sûr de mourir." La fête des guitares elle aussi n'est jamais tout à fait contente en ces confins-là et la femme qui chante ne parvient pas, même quand il semble que la mélodie la comble de joie, à effacer des restes de la grande mélancolie d'un peuple qui se meurt à petit feu. | |
Johann Sebastian Bach, Gavotte de la Partita en Mi Majeur, BWV 1006, par les Swingle Singers (posté le 16/07/2014 à 11:26) |
L'inventeur du jazz? Bach. C'est ce dont veulent nous convaincre les Swingle Singers, et ils y parviennent plutôt bien. Le sévère maître de Leipzig, le savant calculateur de fugues complexes, tout à coup, devient un espiègle petit bonhomme qui rigole sur des tintinabulements légers. Des voix sans souffle mais non sans âme papotent joyeusement, se disent leur joie de s'amuser à chanter et colorient d'arc-en-ciel les tristes HLM futuristes des films des années 70.
Le style a bien sûr vieilli (beaucoup plus que n'a vieilli la musique de Bach) mais décoincé et déclassissicé sans être déclassé, le vieux baroqueux garde en sa musique toute la fraîcheur de son génie. | |
Colette Renard, Les nuits d'une demoiselle (posté le 15/07/2014 à 19:16) |
Il est des situations qui prêtent à la métaphore, celle-là tout particulièrement. Si les profs de français prenaient cet exemple-là pour introduire le sujet (si je puis dire…), il est certain que les figures de style pénètreraient plus rapidement (…) les esprits mal tournés des élèves de quatorze ans.
Toutes plus ravissantes les unes que les autres, les façons de dire la chose relèguent presque la chose elle-même au second plan. Si vous proposez à une fille de lui "bricoler la cliquette" (c'est ma préférée), qu'importe si sa réponse vous rougit les joues, vous aurez été, le temps d'un fantasme, un poète.
Quand "gauler la mignardise" ou "picorer le bonbon" chassent un instant la vulgarité ambiante, le plaisir retrouve le goût de l'interdit et le charme de l'allusion (parfois de l'illusion), et il s'accompagne d'un piano qui s'amuse à chatouiller ses touches pendant que vous chatouillez un bijou dont il est n'est pas besoin de dire le nom. | |
Carl Orff, Incipiunt laudes creaturarum, par le Choeur des Armaillis de la Gruyère, sous la direction de Michel Corpataux (posté le 14/07/2014 à 19:18) |
Carl Orff toujours est lancinant. Il se laisse ici emballer par le latin des églises de jadis. Il sait que la louange n'a pas besoin d'en rajouter, qu'il suffit qu'elle pointe de la voix ce que l'oeil n'avait pas encore percé, les beautés cachées sous le jour, les joies de la pluie, l'oiseau qui semble immobile, l'enfant qui dort.
Petit à petit, on ressent la pulsation d'un monde qui avance, la monotonie d'une litanie qui s'épuise à citer ses bonheurs, et déjà le sombre regret de devoir bientôt tout quitter.
Qui d'autre que les armaillis de la Gruyère pour dire cela? Qui d'autre pour guetter puis cueillir les brins d'herbe et les étoiles? Qui d'autre pour rendre grâce aux créatures merveilleuses? Qui d'autre enfin pour s'accrocher au roc et chanter jusqu'à l'amen longtemps retenu le beau pays à qui l'on ne veut par dire adju? | |
Jacques Balutin, Bernard Lavalette et Yves Prin, Le gâteau empoisonné, extrait du dessin animé Astérix et Cléopâtre (posté le 13/07/2014 à 10:29) |
On voue souvent un culte au film d'Alain Chabat mais les vrais amateurs d'Astérix lui préfèrent - et de loin! - le dessin animé. Ils ont (ce "ils" est bien sûr un "je") un pincement au coeur qui tourne à la larme (de crocodile affamé de Gaulois) quand ils réentendent la chanson du lion qui glisse sur le savon, celle d'Obélix en manque de sanglier ("quand l'appétit va, tout va") et surtout cette recette d'un gâteau digne des meilleurs épisodes de top chef et de "venez bouffer chez moi que je vous montre que je suis bien meilleur cuisinier que vous, bande d'abrutis".
Amonbofis commence donc par mélanger quelques produits qu'il vient de se procurer chez son pharmacien préféré. Il y a ajoute un verre de pétrole - avec lequel sa bonne vient de cuire des pommes - puis mille venins tous plus mortels les uns que les autres. "Et un peu de sucre en poudre?" - Non… Les suggestions de Jacques Balutin (je ne m'étais jamais rendu compte que c'était lui) sont bien naïves. Il manque à la mignardise une pincée de mort-aux-raz (du Tue-Taupe 10 de préférence), de la bave de sangsue et… ("Et un peu de vitriole? - Non… Oui! - Ah! Je savais bien que ça serait bon!").
Voilà. C'est prêt. On peut découper le gâteau en trois parts ("J'ai dit trois parts, Obélix…") et le déguster; mais avant, que l'on appelle mon goûteur! "Oula, oula, oula!" Il aurait sans doute fallu quand même ajouter un peu de poivre en grains. Mais je ne vais pas raconter la suite car il existe peut-être des malheureux qui n'ont pas vu le dessin animé.
Ce qui fait le plus plaisir à l'écoute de cette chanson, c'est que les méchants y sont sympas, qu'ils sont accompagnés clarinettes folles et de banjos rigolos, et que tout en mijotant leur tambouille qui me rappelle celle de mon école de recrue, ils dansent le charleston et s'éclatent en scats satisfaits. Si tous les méchants du monde pouvait s'en tenir là, ils gagneraient sans doute la partie, parce que leur gâteau, finalement, on meurt d'envie de le goûter.
On meurt. | |
Juliette, I'm still here (posté le 12/07/2014 à 23:48) |
A priori, Juliette n'a rien d'un crooner, ni le physique ni le style.
Quoique…
Dès qu'elle touche à une chanson, c'est comme si ça avait été écrit pour elle. Juliette devient en clin de voix une étoile de Broadway, un people glamour à rivières de diamants, une diva que le monde entier adule. Dès qu'elle s'empare d'un standard, il est recréé à neuf, comme si nos oreilles l'entendaient pour la première fois. Quand elle joue la grande dame, elle n'a pas besoin de se forcer : elle en est une.
Et derrière elle, c'est le grand show des instruments qui se la pètent, cuivres fiers, bois sensuels, cordes amoureuses, batterie discrète et piano enjôleur, embarqués en première classe pour un triomphe qui éclabousse l'univers, qui n'a d'autre choix que de s'écrouler sous le charme d'un nouveau soleil qui tient la rampe avec brio.
Juliette, finalement, a tout du crooner. | |
Piotr Illich Tchaikovski, Premier mouvement adagio - allegro non troppo - andante - moderato mosso - andante - moderato assai - allegro vivo - andante come prima - andante mosso de la Symphonie n°6 en si mineur, op.74, "Pathétique", par l'Orchestre Philarmonique de Berlin, sous la direction de Herbert von Karajan (posté le 11/07/2014 à 19:53) |
Quelle histoire d'amour, de trahisons, de tendresses, d'orages et de passions Tchaikovski nous raconte-t-il?
Tout commence dans le grave, puis, petit à petit, cela lève, comme si, de la feuille tombée si bas un soir d'automne, naissait au petit matin d'avril un arbre immense, majestueux et noble, sous lequel les cordes romantiques (peut-être déjà traitresses) incitent les amants, trop jeunes pour se méfier, à s'étendre et s'étreindre sans honte et sans soucis dans les bras d'un sommeil léger comme une douce mélodie de clarinette.
Soudain, la foudre frappe. Les amants s'enfuient. La pluie les noie. Ils sont perdus. Elle a lâché sa main. Elle est tombée. Où est-elle? Il panique. Il court dans tous les sens, il se rue sur tout ce qui bouge, il sent dans son dos l'armée des cuivres et des timbales qui le rattrape, qui se fait géante, qui devient ogresse dévoreuse d'amours interdites, qui se transforme en monstre écumant de rage ravageant tout sur son passage tonitruant puis qui, au moment même où il sent que c'en est fini, se tait et sombre dans la nuit.
Elle n'a pas quitté l'ombre des feuillages. Les cordes, qui jamais ne furent traitresses, la bercent tendrement. Les cuivres, qui jamais ne furent soldats, laissent couler de leurs pavillons des larmes de rouille. La douce mélodie de la clarinette (que cet instrument est beau…) caresse les amants retrouvés qui s'unissent enfin dans un sommeil à la fois profond et léger, où ils oublient déjà ce que fut leur cauchemar.
La rêverie romantique de Tchaikovski, redoublée par l'histoire simple et un peu kitsch que je me suis racontée, est-elle aussi pathétique qu'on nous le suggère? Parfois les noms des symphonies se trompent. | |
Georg Friedrich Händel : Dixit Dominus Domino meo du Dixit Dominus HWV 232, par le Concert d'Astrée, sous la direction d'Emmanuelle Haïm (posté le 10/07/2014 à 13:23) |
La vivacité d'un dire qui s'envole, l'énergie d'un Dieu que l'on crie, une vague de fond dans le ciel, Händel veut la violence d'une joie, la rage d'une foi qui s'affirme, ferme, sûre, légère quand les solistes font taire la foule affamée d'un choeur qui s'impatiente, qui aboie, qui cloue le bec des douteurs. Il exige une foi sévère quand les cordes excitées crucifient un Christ qui hésite encore entre noirceur et éclat. Les x du "dixit" piquent et sont venins de serpents, couronnes d'épines, éponges de vinaigre.
Un chant plus aigu, plus calme, plus incertain, moins aigre, essaie, dans l'éther, ailleurs, nulle part, de contempler ce que le peuple d'en bas implore dans le foisonnement d'un brouhaha ordonné, fier et répétitif.
Debout, le croyant se sent fort : il affirme sans peur, il est certain, mais il est grave, parce Dieu garde des habitudes de terroriste, des fulgurances de mystère et parce qu'Il reste une menace, une épée de Damoclès, un Intouchable dont on ne doit pas se moquer, peut-être même un de ces inimicos que le choeur balaie de ses vagues violentes.
Derrière l'assurance perce un tremblement, derrière la lumière éclatante se cache un souvenir de brouillard.
Déjà des philosophe disent que...
Il faut chanter plus fort pour couvrir les voix qui déraillent, pour ne pas entendre qu'elles chantent, plus juste qu'on ne le croyait, un amen qui se moque des p(r)êcheurs trop arrogants. | |
William Sheller, Une chanson qui te ressemblerait (posté le 10/07/2014 à 12:51) |
Le chanteur, seul devant son piano, entre dans sa bulle de mélancolie. Il rêve une chanson qui se crée sous ses doigts pour une enfant qui naîtra demain. Il dessine des châteaux en Espagne, châteaux de cartes ou châteaux de sable, châteaux des légendes anciennes qui remontent de la nuit. Ce serait quelques planches mal jointes, un toit de tôle brinquebalant, une simple maison, un feu qui s'éteint sur une plage à la fin de cette nuit où nous aurions ficelé quelques notes ensemble et où tu serais devenue une maman qui ressemble à mon enfant. Mais le monde est mal foutu. Personne ne te ressemble et la bulle du chanteur, en éclatant, fait s'écrouler l'échafaudage. | |
Julien Clerc, Mélissa (posté le 07/07/2014 à 18:26) |
Hymne national des voyeurs, Mélissa s'écoute avec un déhanché qui fait grincer la chaise. D'emblée, l'auditeur alangui se mut en regardeur. Il la voit et la veut, la métisse d'Ibiza; il dessine et caresse ses seins tout pointus; il zoome en gros plan sous la soie de sa jupe fendue; il déshabille ce qui lui reste de vertu; il… île…
Les vacances me remuent le ventre d'en-bas. Par la fenêtre, la pluie et les voitures… Rien à mâter… Chez les gens d'ici, on se cache la nuit sous son pyjama et le jour sous son parapluie. Y est-on néanmoins plus vertueux? Les pensées, sans l'aide des yeux, s'égarent, et les voyeurs deviennent des pervers. | |
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