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| Roman

7 mars 2009 : Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être (posté le 07/03/2009 à 13:45) |
Relecture surprenante. J'avais tout oublié, sinon quelques détails, amplifiés par mon souvenir. Le passage sur le kitsch (la négation de la merde) prenait 200 pages dans mon esprit, une dizaine en réalité. D'abord, la relecture a été agaçante. Que de théories... Verbeux... Bavard... Ensuite, la sauce a repris, grâce aux personnages, à leurs rapports complexes, à l'incommunicabilité qui les fait se quitter, revenir, s'aimer sans le dire, à leur originalité. Le jeu des points de vue souligne les malentendus et les communions (vraies ou fausses). Pour chacun, un drame se joue, pas le même, un petit drame léger qui est toute sa vie, faire correspondre son âme à son corps. A la fin, le bavardage, dont on comprend qu'il est badinage, séduit. On s'y attarde comme Tomas s'attache à ses maîtresses d'une nuit. On retient quelques formules frappantes ('L'homme est un parasite de la vache'), on pense comprendre un peu mieux la vie sous le système communiste, on se dit que quand même, intituler ce bouquin 'L'insoutenable légèreté de l'être', c'est peut-être abuser dans le verbeux. | |
25 février 2009 : Eric-Emmanuel Schmitt, La part de l’autre (posté le 27/02/2009 à 15:38) |
Deux questions : Hitler aurait-il pu être autre ? Un autre (moi) aurait-il pu être Hitler ? Schmitt répond oui et raconte deux vies. Le même homme ? Insensiblement, Hitler et Adolf H. s'éloignent. Au début, peu de sympathie pour les deux, presque plus pour Hitler. Ensuite, ça tourne. 14-18 décide. Impact déterminant. On s'identifie à Adolf H. et, ce faisant, s'identifie-t-on à Hitler ? On vit ses amours, ses deuils, ses passions, il devient un type bien, un génie raté qui s'en rend compte, comme tout le monde (comme moi, ai-je envie d'écrire, pourquoi utiliser ce "on" ridicule ?). Je suis Adolf H. Onze-heure-trente me plaît. Suis-je Adolf Hitler ? Eric-Emmanuel Schmitt écrit ce livre pour comprendre. Par bonheur, lui aussi rate. On comprend comment, on ne comprend pas pourquoi. La lecture des passages sur le vrai Hitler lasse, on connaît déjà, on n'aime pas. Le nouveau Hitler intrigue. On le voudrait pire. On se surprend à le rêver criminel (le "on" est revenu, comme si je voulais m'empêcher d'en faire une affaire personnelle, alors que fondamentalement, il le faut). Il tue sa fille et son amant et on est rassuré. Adolf H. est quand même Hitler. Non. Il fallait jusqu'au bout faire d'Adolf H. un homme normal. Donc, la réponse à la première question est donnée : Hitler aurait pu devenir un chic type, il aurait pu ne pas être le Satan moderne, Freud et les femmes auraient pu le sauver. Quant à la deuxième question, il est beaucoup plus vertigineux de se la poser. Aurais-je pu tourner en Adolf Hitler ? Si j'étais né en 17 à Leidenstadt ou si j'avais vécu l'horreur des tranchées, aurais-je pu devenir ça ? Ne répondons pas mais n'oublions pas la question. | |
7 février 2009 : Jacques Chessex, Un Juif pour l'exemple (posté le 07/02/2009 à 17:42) |
Livre nécessaire. Lecture couteau. Honte. Ce roman n'en est pas un. Tout est vrai. Est-ce possible? Chirurgie de l'horreur (en écrivant cette métaphore, je me dis qu'il n'est pas décent de faire du style sur ça). Cela s'est passé ici. Ne disons pas "cela", ne cachons plus. Dans cette jolie ville, ici, à trois kilomètres, qui s'apprête au gros rire des Brandons, au nom d'idées absurdes, on a (ne disons pas "on", des hommes avec des noms d'ici, des garagistes, des paysans, des apprentis, des pasteurs) tué un homme d'un coup de barre de fer puis de pistolet, on l'a dépecé comme un cochon, on a transporté les morceaux de son corps dans une boille jusqu'à Chevroux (la plage, le camping, les Suisses allemands en maillots de bain), on l'a jeté au lac, on a brûlé ses habits dans les grottes de Payerne, où nous allions en balade quand on était petit et qu'on nous racontait vaguement cette histoire à faire peur aux enfants. Ici. Ischi. Hitler. Un pas supplémentaire dans la conscience impossible de l'horreur de la Shoah. Impossible de croire que cela ait pu avoir lieu, ces millions de gens qui avaient des noms (Anne Frank, puis les murs du cimetière juif de Prague). Impossible au carré de croire que cela a eu lieu ici, tout près de cette chambre où, tranquillement, heureux d'avoir terminé mon DAESII, je tapotte. Chessex touche juste. Il décrit. Cela suffit. On avait cru oublier. Devoir de mémoire. Il reste infiniment à essayer de comprendre. Devoir d'histoire. | |
22 décembre 2008 : Pierre Michon, Rimbaud le fils (posté le 27/12/2008 à 18:39) |
Halo autour de Rimbaud, essayer de dire l'autre et le je, les poètes de métier et l'enfant terrible. Izambard et Banville, la mère, Verlaine, le père déjà mort, un écrivain dans une grange qui fomente une révolte, ce livre tourne autour, il cerne et loupe Rimbaud, échappé, africain. Une photo se médite, une cravate penchée, sans couleur, bribes d'Arthur, un style. Les mots bousculent, je pense aux filles de demain dans un café de Fribourg, un poète forme bien ses lettres, Rimbaud, les voyelles, je les vois, elles s'échappent. Ce que j'écris sur ce livre s'efface, j'ai aimé, pousse la barbiche, l'académie, la révolution, la guerre. | |
13 décembre 2008 : Jacques Chessex, La Confession du Pasteur Burg (posté le 27/12/2008 à 18:37) |
Le monde de Chessex, sulfureux, religion plus que sexe (et c'est peut-être pour ça que je n'arrive pas à retrouver le génie de L'ardent royaume), la culpabilité, un amour qui devrait sauver, qui sauve, qui détruit, Dieu cruel, calviniste à vomir, l'amour pur, la chute, la mort. En y songeant, j'y vois le plus mauvais livre de Chessex, un transport toujours retenu, un narrateur antipathique, quelque chose d'à côté, le diable protestant qui pourchassait mes ancêtres catholiques. Certes, la bassesse des peuples soumis, un canton de Vaud déconstruit, ça sonne juste, mais j'en appelle à la joie, à la sève ruisselante des arbres printaniers, aux dorures qui se pompent aux Fêtes-Dieux grandiloquentes, aux Saints-Nicolas clinquants, aux rococcesques enluminures des angelots qui se fifrent aux plafonds de Saint-Pierre et de Saint-Michel, j'en appelle en définitive à ce qui manque à ce roman, j'en appelle à la tentation que Chessex cache trop, j'en appelle à une littérature romande qui soit enfin fribourgeoise. | |
29 octobre 2008 : San-Antonio, Un os dans la noce (posté le 27/12/2008 à 18:23) |
S'abaisserait-il à lire des romans de gare ? Demain, Barbara Cartland ? Que nenni ! Lire San-Antonio, c'est retrouver les fondamentaux, la pure joie de lire. Histoire rocambolesque, rebondissements téléphonés, histoire policière invraisemblable, on n'y croit pas. On peut se concentrer sur l'essentiel, le langage. Et là, c'est un festival, une orgie, une fête à chaque bout de ligne, un rire bête et gras qui déride, l'esprit de Rabelais dans le costume de Nestor Burma. Tout est dans le style. Lire San-Antonio, c'est comme manger du salami en buvant de la cardoche. On sait que c'est pas bon mais qu'est-ce que ça fait du bien ! Et voilà que je te balance un mauvais jeu de mot, un de ceux que je fais tout le temps et qui ne fait plus rire autour de moi, et voilà que je te murmure, l'air rien, sainte nitouche, des cochoncetés (les maffieux s'appellent Merdanflak et forment une organisation secrète nommée B.I.T.A.U.C.U.L. qui a son siège dans l'île Godmichey), et voilà Béru, fidèle Alexandre-Benoît, savoureux Obélix dégueulasse, maman Félicie, un mariage raté (San-Antonio marié, ça ne pouvait pas coller, on aurait manqué le meilleur...), et voilà que je te chope une frangine de hasard, que je veux t'en choper une autre mais que, oups, c'est un homme, et voilà que je t'insulte Robert Louis Stevenson pour le pur plaisir de dire des connerie. Voilà. Un chef-d'oeuvre du genre. Inimitable. De la vraie lecture pour sous les draps. Du qu'on ne fera pas lire à l'école mais qu'on souhaitera faire découvrir par la bande, une fois que les élèves auront compris que le must de l'interdit, ce n'est pas Sade, sinistre et chiantissime personnage, mais le bon vieux roman de gare. La littérature ne sera morte que le jour où l'on ne vendra plus San-Antonio dans les kiosques des gares. Je ne résiste pas au plaisir de léguer à la postérité la scène que l'on attend toujours et qui ne déçoit jamais : "Je lui déboule ma toute grande oeillade façon glauque sur fond d'azur, avec arrières-pensées sous cul tanné. On jurerait que ça la trouble (répondit cette bébête cruelle). Je propulse dans sa direction deux bras arrondis de danseur mondain sur le chantier de la guerre. Elle ne recule pas ; alors j'avance. C'est humain. Tu ferais quoi, à ma place, toi ? Pour commencer la galoche galvaudeuse, hein ? Et puis les mains au guidon, non ? Le débouclage futalien, pour continuer. Puis le dégagement de la salle des fêtes. La mise en place de ton jeu de croquet à arceaux, pas vrai ? Avec, en enchaîné direct le trombone ascendant. Exactement comme moi, mon grand". Bon, j'en passe... San-Antonio, c'est enfin une langue vivante, au milieu des morts styles qui respectent. J'en bande encore. | |
8 septembre 2008 : Boris Vian, L’arrache-cœur (posté le 27/12/2008 à 18:09) |
Drôle d'histoire. Drôle ? Une mère qui appelle ses enfants salopiots à leur naissance, mais qui se rattrape en les couvant au point de leur supprimer le sol et l'horizon pour finalement les enfermer dans des cages, un drôle de personnage, Jacquemort, psychanalyste vide qui se tape la bonne, des enfants dont un se nomme Citroën, un étrange village où les apprentis sont battus à mort, où on vend les vieux à la foire, un type, la Gloïre, qui vit dans une maison en or et qui ramasse les ordures et la honte des autres dans le ruisseau (à la fin, Jacquemort, qui n'a pu psychanalyser qu'un chat, prendra sa place), un curé qui met en scène un combat de boxe entre le Dieu de luxe qu'il vénère et son diable de sacristain, des mois d'octembre et de junet, tout un monde halluciné à la Vian, sa patte jazzy, sa fantaisie, ses peut-être allégories, un monde qui devient fou sans que ça n'étonne personne, tout ça se lit avec délectation et étonnement, sourire et envie d'y penser, pas tout à fait aussi agréablement que L'écume de jours. Le petit monde de Boris Vian se referme et notre monde fade va renaître. | |
26 août 2008 : Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné (posté le 27/12/2008 à 18:04) |
Il est des livres que l'on relit avec le même frisson qu'à la première lecture. Celui-là en est l'emblème. Hugo saisit l'horreur de la peine de mort et l'envoie à la gueule du monde. Il dit : le condamné, c'est moi. Moi, c'est le lecteur. L'identification fonctionne à plein régime. Lire Le dernier jour d'un condamné, c'est devenir, quelques heures durant, soi-même un condamné à mort, c'est ressentir avec le personnage principal (ce sans nom, dont on sait juste qu'il a commis un crime, qu'il a de l'éducation et qu'il est jeune) les angoisses les plus ignobles, les espoirs les plus vains, les délires les plus ridicules. C'est osciller sans cesse entre la fatalité, toujours là, ce "condamné à mort" qui ouvre et clôt le premier chapitre, ce "c'est pour aujourd'hui" qui emprisonne le chapitre dix-neuf, et la nécessité d'y échapper, peut-être par l'écriture, cette invraisemblable écriture qui perdure jusqu'au pied de l'échafaud, jusqu'au bord de cet infini de la mort qui, plus encore que le soleil, ne peut se regarder de face. Victor Hugo écrit ici son premier chef-d'oeuvre, ce roman qui est peut-être le premier roman moderne, la première auto-fiction, l'avènement de l'écriture qui dit je. On y sent poindre les deux autres sommets de ce géant des lettres, Les Misérables, avec l'apparition prophétique d'un Jean Valjean non pardonné, et Les Contemplations, avec la petite fille qui perd son père (Hugo renversera la situation, tout se renverse toujours chez Hugo), avec l'ellipse de l'histoire de la vie du condamné, qui deviendra l'ellipse de la mort de Léopoldine. Tout Victor Hugo est présent, certes, mais peu importe. Ce qui compte, c'est l'effet du livre. Comment peut-on, après avoir lu Le dernier jour d'un condamné, ne pas vomir la peine de mort ? | |
18 août 2008 : Jack Kerouac, Sur la route (posté le 27/12/2008 à 18:02) |
Fureur de vivre, de prendre la route, de se détruire, ce roman de l'errance infinie, de la frénésie, du bop, du it, des paradis (le narrateur se nomme Paradise) artificiels donne l'envie de tout balancer, de partir, n'importe où, de rendre visite à Dean le fou, du côté de Denver, de San Francisco ou du Mexique, de foncer ivre mort en bagnole (existe-t-il, dans le puritanisme ambiant, de crime plus odieux ?), de soulever des filles inconnues dans un bordel assoiffé de mambo, bref, de laisser l'énergie vitale guider le bateau trop intellectuel de la sage vie des gens ordinaires. Certes on voit bien que la route ne mène nulle part, pas même à Rome (Dean et Sal n'iront jamais en Italie), et que l'on ne trouve que la mort au bout du chemin. Génération perdue ? Sans doute. Génération qui comprend que la partie est forcément perdue et qui fuit les règles établies pour trouver un moyen de vivre un peu au milieu des cadavres qui s'amassent partout. | |
1er août 2008 : Stendhal, La Chartreuse de Parme (posté le 27/12/2008 à 17:59) |
Sur un port sombre malgré le brin de soleil, à Portree, île de Skye, évoquer La Chartreuse de Parme, l'Italie, la passion amoureuse, l'intrigue politique... De romantisme pourtant, l'Ecosse n'en manque pas, mais le romantisme de Stendhal est ailleurs, en pleine lumière, là où les passions bouillonnent, là où le sang jaillit, dans un pays rouge. L'Ecosse est verte et grise. Je n'y rencontrerai pas Fabrice Del Dongo l'amoureux fou, ni la fracassante marquise San Severina. Mes amours, restées en Suisse, se mélancoliseront sans s'exaspérer. Je ne tuerai aucun Giletti. La Chartreuse de Parme, en plus d'être un roman écrit avec un enjouement et une ironie qui ne survivront pas dans la suite de ce dix-neuvième siècle toujours plus sombre, est un roman qui décrit à merveille les mécanismes de l'amour. Certes il l'enjolive avec une patine romanesque qui fait sourire le lecteur d'aujourd’hui, mais cet emberlificotement des mille gammes amoureuses charme. On se prend à se rêver Fabrice, en Italie, allant jusqu'au bout de sa folie sans y trouver le malheur. Le Chartreuse est un roman optimiste. On y souffre atrocement mais au soleil. Ici, en Ecosse, en vacances, on rigole sous la pluie. Joli contraste. | |
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