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6 juillet 2008 : Julien Gracq, Le rivage des Syrtes (posté le 27/12/2008 à 17:43)
Livre d'un presque rien qui dévaste un empire, où le rien qui se passe se fait tout, Le rivage des Syrtes fascine. Quelque chose d'antique, ce vieux bouquin jauni, cette guerre larvée qui, mine de rien, se délarve, ces paysages vides, cette atmosphère floue d'une vieille de combat, ce non-dit qui se confesse, ces désirs qui tournent autour d'un pot qui se dévoile presque, quelque chose qui donne un je-ne-sais-quoi. Ce livre ne ressemble à aucun autre. On se dit donc que l'auteur est grand, que du vrai se cache sous ce style pas tout à fait précieux, un style noble et vaguement dérisoire (quelque chose de Proust, mais ailleurs). Quelque chose (le mot quelque chose se répète parce qu'il est le seul qui convient) a lieu, dans cette ville sclérosée d'Orsenna, sur ces rivages flous des Syrtes, dans les populations qui se moyenâgent à Maremna. Un homme (un héros ?) provoque une guerre qui existe déjà, un rouage déborde le vase d'attente, le pouvoir secret se dévoile vaguement, les hordes du Farghestan menacent. Un empire va tomber, on s'en doute, mais le génie de Gracq, c'est de ne pas dire la chute mais ce qui la précède. Quelque chose d'antique, de déjà mort et l'appel de plus en plus net d'une renaissance, alors qu'étrangement, le royaume d'Orsenna, qu'on imagine peut-être italien, fait très Renaissance, on pense à la Venise des Doges, à une Florence empaillée. L'appel de l'inconnu, la frontière dont on sait très vite, dès la scène de la salle des cartes, qu'elle devra, malgré les siècles, être transgressée, la frontière que l'on désire ardemment, avec Aldo, franchir, ce monde inconnu, ennemi qui fascine comme fascine, et c'est sans doute là qu'aboutira ce roman qui se termine au moment où tout va commencer, la mort, tout, dans Le rivage des Syrtes est tendu vers demain, un demain d'autre vie qui changera tout, Marino est mort, les temps anciens seront balayé, Orsenna court heureuse à sa perte, comme la vieille Europe, du temps de Gracq s'était jeté dans la gueule-aimant de la baleine guerre. On s'y jettera encore souvent.
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24 mars 2007 : Jules Verne, Le Tour du monde en 80 jours (posté le 27/12/2008 à 15:01)
Un jour pour faire le tour du monde, ou presque. Je suis passé aujourd'hui, à toute berzingue, de Londres à Suez, de Bombay à Calcutta, de Hongkong à Shanghai, de San Francisco à New York, et finalement de Liverpool à Londres. Pari gagné même si, à la dernière minute, on n'y croyait plus. Quel sens à tout ça ? Phileas Fogg n'a rien vu de son voyage. Il a fait l'anglais jusqu'au bout. Pourtant... Une femme sauvée de la mort par son serviteur, le génial Passepartout. Un aveu, qui sauve le pari et le bonheur. Toujours croire que ce n'est pas perdu. Bon, venons-en à ce qui m'intéresse, à ce qui m'a tordu l'estomac durant toute cette lecture (et ce n'est pas fini, c'est de pire et pire, et ça n'arrêtera qu'à l'annonce du résultat, il reste bien des escales, des obstacles, des terreurs). Demain, un SMS. Cliquer le pari. Sur un coup de folie, Fogg fait le tour du monde, il y trouve l'amour. Sur un coup pas si fou mais qui me liquéfie, je vais (pourvu que je l'ose, ça n'est pas encore fait, je suis loin d'avoir le flegme de Phileas Fogg) inviter une fille au cinéma. Contraste. Et pourtant... Cette impression de jouer ma vie, fausse bien sûr, mais tenace, ce come-back de la timidité si facilement contournable par la fuite, faire un pas, le premier. Fogg gagne son pari au moment où il part, pas au moment où il arrive. Demain, un SMS. Le monde est plus petit. On fait le tour du monde beaucoup plus rapidement qu'à l'époque de Jules Verne, mais en ne faisant rien, on n'avancera pas et j'aurai écrit ce commentaire hors sujet pour rien.
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16 mars 2008 : Alain Robbe-Grillet, Un roman sentimental (posté le 27/12/2008 à 13:42)
Alain Robbe-Grillet est mort, en voici la preuve. Qu'en reste-t-il ? La monotonie de l'horreur, un récit méticuleux de l'insoutenable, la provocation obscène. Le roman de trop ? Peut-être un testament. Robbe-Grillet se lâche. Il s'offre un dernier plaisir, celui de la forme classique. Ce faisant, il nous emmerde. On lit, dégoûté, vaguement excité parfois, à notre plus grande honte. Sentiment de déjà lu, Sade, bien sûr, rien de nouveau sous le soleil de Satan. Robbe-Grillet est mort après avoir (faut-il le regretter ?) assassiné le nouveau roman : "Revenons à des récits qui ne perdent pas le lecteur, faisons le chier mais en lui montrant bien que c'est mal". Plus rien d'ambigu, plus rien de subtil, plus rien de caché, plus rien de secret, plus rien. Galerie des horreurs, regret de la bicyclette rouge et de l'ombre du pilier. Sans doute Alain Robbe-Grillet a-t-il écrit cela pour que l'on retrouve le plaisir de lire ce qui est vraiment bon dans son oeuvre, ses premiers romans, ceux qui taisent ce qui est dit trop manifestement ici, ceux qui laissent le lecteur imaginer les viol(ence)s en sous-main, ceux qui, parce que personne ne sait vraiment ce qui est raconté, sont mille fois plus dangereux que ce fatras dégueulasse. Robbe-Grillet a pondu de la merde pour éclairer ses bijoux.
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4 mars 2008 : Marie-Aude Murail, Baby-sitter blues (posté le 27/12/2008 à 13:33)
Littérature pour adolescents. A enseigner. Judicieux ? Simplicité, c'est d'accord. Préoccupation des jeunes, ouais. On assiste dans ce bouquin un peu trop à la mise en scène par un adulte du monde ado, les premières amours, sans qu'on en dise le nom, un peu fleur bleue (rien à voir sans doute avec nos élèves, j'ai souvent l'impression d'être la dernière fleur bleue sur terre), la pression de la société de consommation, le rapport difficile aux parents (à la mère seule, comme souvent aujourd'hui), la découverte d'une passion (les enfants) et d'un vice (le vol). Derrière tout ça, un peu de morale bon teint, "voler, c'est pas beau", les gentils sont plus forts que les méchants. Judicieux ? du point de vue adulte, sans doute. Nos élèves (première C.O., quasiment des enfants) ne seront pas dépaysés, ils entreront dans le bouquin et en ressortiront peut-être plus gentils. D'un point de vue d'adolescent, je crois que l'attente est ailleurs que dans le moralisme teinté d'humour gentillet. On aimerait (on rêve, et c'est pour ça que ce n'est pas au C.O. que j'ai envie d'enseigner le français) mettre sous les yeux des jeunes de la vraie littérature, des trucs simples mais pas des trucs préfabriqués pour être lus en classe. Sus à la "littérature scolaire", qui, en l'affadissant, dégoûte de la littérature. Au fond, il faudrait que les adolescents lisent des textes écrits par des adolescents. Quoique... Arthur Rimbaud...
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25 janvier 2008 : L’ivresse d’éveil, faits et gestes de Ji Gong le moine fou (posté le 27/12/2008 à 11:22)
Agréable lecture, quoi de plus sur la Chine ? Un visage. Le Mat, le moine fou, le buveur magique, avalant dix coupes sans respirer, transformant ses beuveries en miracles, vomissant de l'or sur les statues, chiant dans des vases pour qu'on ne les boive pas, buvant, buvant, buvant. Force est de constater que notre ami le Mat, en Chine, aujourd'hui, on ne le rencontre pas à tous les coins de rue, qu'il aurait bien de la peine à accomplir ses miracles, qu'on le laisserait, comme tout le monde, cracher dans la rue, mais qu'on ne lui permettrait pas d'écarts. Police partout. Les fous se terrent. En plus de la folie, la poésie, l'inspiration soudaine, possible uniquement après maints pichets, ces vers qui ne nous disent rien mais qui éblouissent toujours les auditeurs chinois. Une morale là-dedans ? Ne pas se fier aux apparence, ouais, un peu court. Quand même. La sagesse et la folie, même combat, même en Chine. Il faudrait savoir quel regard on porte aujourd'hui sur le Mat. Il semble qu'on n'en entend pas beaucoup parler. Est-ce lui, le fameux Bouddha rieur ? Là encore, j'ignore tout. Revoir ma copie : le bouddhisme, celui de ce texte, n'a rien d'un nihilisme. Il devient un hédonisme magique, un éloge de la folie, de la boisson, de l'esquive. Comme Lucky Luke, Ji Gong disparaît dès qu'on se rend compte de son exploit, il ne s'en vante pas, bien content de laisser planer le mystère et s'enfiler, sans respirer, une dizaine de coupes de vin. L'éveillé bouddhique trouble plus que le gentil saint chrétien, raide et moral.
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28 décembre 2007 : Shan Sa, La joueuse de go (posté le 26/12/2008 à 18:14)
Retour en Chine, Chine sanglante, violente, sans concession. Roman d'amour, dialogue impossible, double jeu d'un double je. La communication s'impossibilise. Question d'honneur. Un soldat, trop fidèle, une jeune fille, trop fille. Une rencontre qui n'en est presque pas une, un jeu, que personne ne gagne ni ne perd. La violence des sentiments est ailleurs, dans Min, dans Jing, dans Lumière, amants et maîtresses sans amour, attaches même pas trompeuses. Ce qui trouble, dans ce roman, c'est que parfois, trop rarement, on ne sait plus si c'est elle ou lui qui parle. Tout les sépare. Ils ont la même voix. Un seul auteur, un seul style, histoire donc parfaitement invraisemblable, romanesque au possible, réussie. Ils meurent dans les bras l'un de l'autre, deus ex machina, marre de sang, trop évidemment Roméo et Juliette.
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22 décembre 2007 : Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray (posté le 26/12/2008 à 17:11)
Livre de morale ? histoire fantastique ? Il semble que ce livre ne peut être réduit à l'une de ses caractéristiques. Sa morale ? faites le bien, le mal finit par se payer. Banal. L'essentiel est ailleurs. Ce bouquin, c'est l'incarnation de la question du rapport entre l'art et la vie. L'homme et le tableau échangent leurs places. Le tableau finit par bouffer l'homme, qui s'était trompé de réalité. Morale ? La réalité, c'est l'art. Le portrait est plus vrai que l'homme Dorian Gray, artificiellement jeune. Troublants renversements qu'on ne peut réduire à des trucs du genre "c'est la beauté intérieure qui compte" ou "il ne faut pas se fier aux apparences". On ne fait, dans la vie, que se fier aux apparence. La preuve ? Je retombe amoureux. La fille est une bombe. Dans le bouquin, rien n'est vrai, ni les apparences, ni ce qu'elles cachent, tout est en renversement constant et le diable lui-même, lord Henry, si manifestement corrupteur, si génialement malin, ne sait rien de la vie réelle de Dorian. Lord Henry, le diable ? ou Basile ? Qui est coupable ? Personne et tout le monde. Rien n'est vrai, surtout pas les mots. Les bons mots sont mauvais. Ils font le plaisir du lecteur, qui en oublie l'horreur des histoires qu'on lui raconte. Florilège, dans la bouche de lord Henry, le corrupteur, qui fait du lecteur un nouveau Dorian Gray, qui plonge dans le mal en lisant un livre, mystérieux, Le Portrait de Dorian Gray : "Les femmes n'ont jamais rien à dire, mais elles le disent de façon charmante", "les grandes passions sont le privilège des personnes qui n'ont rien à faire", "quand on est amoureux, on commence par se tromper soi-même et on finit par tromper l'autre", "ce sont les passions sur l'origine desquelles nous nous sommes trompés qui nous tyrannisent le plus", "le seul charme du passé, c'est qu'il est passé", "nous vivons à une époque où l'on vit trop pour être sage et où l'on pense trop pour être beau", "qui oserait appeler un chat un chat devrait en avoir un dans la gorge", "dans la vie, on ne fait tout au plus qu'une seule grande expérience, et le secret de la vie, c'est de reproduire cette expérience aussi souvent que possible", "l'art a une âme mais l'homme n'en a pas". Un dernier ? la définition des femmes : "sphinx sans énigme". Petites phrases qui tournent à vide, simple ornement du discours, à découper pour les étaler dans un dictionnaire des citations et à retenir pour l'agrément des vaines conversations qui dans nos vies sont celles qui comptent ? Oui et c'est pour ça qu'elles sont importantes, qu'elles incarnent l'ambiguïté du roman, à cheval entre le vrai et le faux, l'artificiel et le naturel, l'art et la vie. Elles sont art, art pour l'art même, et nous en disent plus sur la vie que ce qu'on dit sérieusement. Qui en est l'auteur ? A la dernière page de la Liberté, ce n'est jamais signé lord Henry. Où est Oscar Wilde ? Où se cache-t-il ? derrière lord Henry, le phraseur ? derrière Basile, le créateur ? derrière Dorian ? Partout et nulle part, Oscar Wilde n'est qu'un nom, un portrait dans un musée. Et moi, qui suis-je ? Dorian Gray, lord Henry ou Basile ? Seul Lord Henry n'est pas mort à la fin du roman.
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24 octobre 2007 : François Cheng, L’éternité n’est pas de trop (posté le 26/12/2008 à 12:19)
C'est fini. Le livre et le voyage. Belle histoire. Le monde chinois, immense, étrange, familier, s'ouvre. Tout reste à découvrir, comme pour ces jésuites qui débarquent dans le roman, objets d'un ailleurs rêvé, océan de l'Ouest aux prises avec l'infini Empire du Milieu. Roman de l'attente, roman qui se contente de peu, très classique mais beau, beau comme cet amour presque platonique, subtilement charnel, comme ce médecin qui prend le pouls de cette femme, cité interdite de ses désirs, qui apprennent avec douleur puis avec sérénité à ne toucher que l'âme de la femme, ce mystère du Féminin qui nous rend sage ou fou. Je veux vivre près de vous, écho de ce voyage lointain si proche, appel de Dao-sheng à Lan-Ying, entendu à travers la mort. C'est fini, mais l'éternité n'est pas de trop pour aimer un monde ouvert, la Chine, pendant féminin de cette pâle Europe presque plus virile, Deuxième Seigneur Zhao qui se mettrait à regretter son impuissante barbarie étouffée par l'éternelle beauté d'un amour presque pur.
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15 octobre 2007 : Dai Sijie, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise (posté le 26/12/2008 à 12:17)
La Chine et l'Europe, deux mondes, deux univers, et pourtant... Les jeunes héros découvrent Balzac sous le manteau, ils y découvrent l'amour, cette petite tailleuse qui leur échappe, à Luo, l'amoureux, et au narrateur, dont les sentiments ne sont pas clairs. Echec de la Révolution culturelle, mais aussi échec de ceux qui veulent y échapper, le roman n'est pas clos. Il se raconte encore, comme Luo raconte les films de propagande nord-coréens et les romans occidentaux, et comme le narrateur, plus tard, écrit cette histoire, en fait un roman presque balzacien, un truc très français. Echec de la Révolution culturelle. Ce soir, dans la banlieue de Kunming, on chante, en première chinoise, Le Roi David, avec un orchestre local, un type qui raconte (le fils du narrateur et de la Petite Tailleuse) en chinois, et le ministre de la culture du Yunnan. On se surprend parfois à rêver d'une Chine libre. Luo brûle les livres. La Petite Tailleuse avorte puis s'en va vers la ville, mouvement inverse des garçons, qui ont été rééduqués. Un jour viendra où une fleur fleurira. Peut-être.
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2 octobre 2007 : Yvan Dalain, Le destin tragique du pilote Failloubaz, brevet suisse de vol n° 1 (posté le 26/12/2008 à 12:13)
Qu'il s'agisse d'un roman ou d'une biographie, peu importe. Ce qui compte, c'est l'étincelle, le rêve devenu réalité, la folie assumée de l'homme qui réalise le plus vieux fantasme de l'humanité. Failloubaz, c'est Icare. Il se brûle les ailes. Destin tragique ? Oui, le début, dans une ambiance de rancoeurs villageoises, de pinaillements, de schizophrénie, de procès, de diffamations, de jalousies rentrées, de magouilles, de rapacité financière, ça ne donne pas envie. La mère fait un délire de persécution, l'argent fout la merde. Enfant gâté, Failloubaz est hors de la réalité. Soudain, l'aviation, on ne sait trop pourquoi, seul accès au bonheur, bonheur vécu insolemment, orgueilleusement, pleinement, le genre de bonheur que l'on finit par payer. On n'est pas heureux impunément. L'argent s'en va. Les gens aussi. La maladie menace. Mort piteuse, personne à l'enterrement, fin classique, le pilote maudis, artiste incompris que l'on ressort des tiroirs quelques années plus tard. Partir de ce personnage pour écrire de la musique, qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Le rêve, l'absolu, puis le retour sur terre, la triste et salope réalité, quand s'envole le mythe devenu vrai. Thème éternel sur lequel nous ne cesserons de faire des variations. Faire une oeuvre sur Failloubaz ne peut pas consister en une recherche d'originalité.
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