meslectures

          | Roman

31 mars 2006 : Marguerite Duras, Moderato cantabile (posté le 12/11/2008 à 21:08)
Comment expliquer la tension profonde ressentie à la lecture de ce petit livre où il ne se passe presque rien ? Une mécanique absurde semble être mise en marche. Un homme tue une femme dans un bistrot. Un autre homme et une autre femme prennent leur place. Tout le roman tend vers cette mort absurde qui finalement n'a pas lieu (pas encore ? peu importe). La mort dans ce texte est autre chose que le sang versé. C'est la mort sociale, l'adultère esquissé dans la "pose mortuaire" des mains qui se touchent et des lèvres qui s'atteignent. La tension vers la mort qui traversait le livre, la volonté d'Anne Desbaresdes de comprendre cette femme qui a accepté d'être assassinée, le rapprochement incompréhensible de deux êtres égarés, dépressifs sans doute, le devenant, sombrant dans l'alcoolisme, aboutit à l'amour, esquissé, mortel. L'enfant qui occupait toute la place disparaît, meurt textuellement. Il y a dans la lecture de Moderato cantabile quelque chose de décevant et c'est ce quelque chose de décevant qui rend le roman passionnant. Un homme et une femme vivent devant nos yeux leur histoire, absurde peut-être, tragique sans doute, mais nous ne comprenons rien à cette histoire. Qui est le narrateur de ce roman ? L'enfant ? La patronne du café, seul témoin des rencontres, regard indifférent sur le drame qui peut-être a lieu ? Moderato cantabile est sans doute un roman sur l'impossibilité radicale de saisir ce qui se passe au coeur de l'esprit humain, sur l'absence totale et définitive d'explication rationnelle aux actes que nous accomplissons. Anne et Chauvin ne parviennent pas tout à fait à comprendre les raisons de l'assassinat du début du roman comme nous ne parvenons pas tout à fait à comprendre les raisons de leurs rencontres quotidiennes, de leur amour mortel qui n'aboutit pas à l'assassinat. Aucun mystère. Rien que les faits, nets, précis, absurdes et mécaniques, présents, et ce sentiment oppressant que nous ne pouvons qu'échapper à nous-même.
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9 mars 2006 : Virginia Woolf, Les Vagues (posté le 10/11/2008 à 18:50)
Ces voix qui s'entremêlent sans jamais se toucher, ces personnages qui n'en sont pas parce qu'ils ne sont que des paroles, cette quête désespérée d'une unité du moi, tantôt approchée, tantôt éloignée, ce mouvement de la vague, va-et-vient des personnages les uns vers les autres et vers eux-mêmes, ce rythme qui fait oublier qui parle parce que Bernard, Neville, Louis, Suzanne, Jinny et Rhoda sont une seule voix même s'il y a des restes de personnages, des situations particulières irréductiblement différentes, Bernard qui raconte des histoires, qui prend la parole au point de la monopoliser à la fin du roman, Bernard qui est une vague, tantôt trouvant le calme de la solitude, un rivage possible, puis retrouvant les détails de la vie ordinaire qui lui font raconter des histoires, se perdre, n'être plus que Bernard qui écrit des phrases dans un carnet, Neville qui aime, Suzanne qui s'enracine, devient un arbre, Louis qui efface son accent australien, Jinny qui n'est qu'un corps, Rhoda qui est un fantôme sans visage. Mais tous sont des fantômes sans visage. Il y a au coeur de ce roman une absence, la mort de Perceval, dont on n'entend jamais la voix mais qui est au centre de tout. Quelque chose flotte. Les personnages s'estompent et font place aux paysages. Perceval est mort et n'a jamais existé. J'ai la bizarre impression de ne pouvoir parler de ce livre qu'en en prenant le style, cette constante analyse intérieure qui fait que quelque chose échappe toujours, et que quelque chose, c'est tout. Il y a dans Les Vagues un condensé de l'expérience humaine moderne, cette avancée dans la vie où tout évolue sans vraiment changer, les souffrances et peut-être, mais ça semble moins sûr chez Virginia Woolf, les joies prenant juste plus de poids, mais les mardis succèdent aux lundis indéfiniment et les vagues ne cessent pas de se heurter contre le rivage. Il n'y a jamais de rupture dans ce texte, malgré ses six narrateurs que tout oppose et que tout réunit, ses descriptions de paysages qui viennent interrompre les monologues, les années qui passent de l'enfance à l'âge mûr. Même la mort de Perceval ne parvient pas à briser la monotonie du roman, parce que Perceval n'existait pas avant sa mort. Nos vies, ma vie (comme les personnages de ce roman, j'oscille sans cesse entre mon identité personnelle et mon identité humaine) coulent sans que nous trouvions (sans que je trouve) qui nous sommes (qui je suis). Solitude à la fois irrémédiable et impossible, désirée et rejetée de toutes mes forces, comme l'appel de l'autre qui fait de moi à la fois un Neville disant à l'autre "viens plus près", et une Rhoda, que l'autre horrifie et qui se cache, se vampirise, et tout à coup, sans crier gare, se retrouve morte.
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17 février 2006 : Jean Marie Gustave Le Clézio, Le Chercheur d’or (posté le 09/11/2008 à 19:39)
Lire Le Clézio, c'est revenir aux sources de la littérature. Formellement, on ne lit rien d'autre que L'Odyssée, le type qui part de son île pour y revenir changé parce qu'il a vu l'or, la toison des argonautes, l'amour, ce corps noir, mystérieux, fuyant, massif, les plus belles pages du livres, le corps sans culpabilité d'Ouma, nu et recouvert d'un sable qui s'envole petit à petit, laissant le désir naître sans violence, la guerre, l'horizon noir, encore noir, toujours noir, des tranchées de 14-18. Le Chercheur d'or, partant de l'île Maurice pour y revenir, c'est bien sûr aussi Paul et Virginie, cette soeur du narrateur qui s'appelle Laure, sans que le chercheur d'or ne comprenne que l'or, c'est Laure, ce navire qui sombre, l'homme qui plonge à la mer pour rien, les ouragans qui détruisent le paradis terrestre, l'un des paradis terrestre, le Boucan, le lieu de Laure, l'Anse aux Anglais, le lieux de l'or, Saint-Brandon, le cimetière marin souillé par le massacre des tortues. Au dessus de l'errance, le ciel, les étoiles du père, un instant pareil à la terre, découverte du trésor tant désiré, détruit encore et toujours par l'ouragan, la communion des éléments aussi brève et irrémédiablement perdue que la communion des corps. Ouma s'enfuit. Le ciel reste. Le trésor est l'errance. Il y a quelque chose d'enfantin dans ce roman. Tout n'y est que gaminerie, sublime gaminerie, croyance en la magie de la nature, seul véritable acteur du roman, source du désir et de la fatalité, force vivante, exact opposé de ce que je travaille en ce moment, envers des choses immobiles et superficielles qui peuplent les romans de Robbe-Grillet, vision religieuse du monde, hélas incontournable. Le Clézio se soumet à la nature. Son héros ne cherche pas la liberté, prisonnier qu'il est d'un monde qui lui parle, le guide, le perd. Rien de vraiment tragique, juste l'éternelle errance de l'homme dans une forêt sans fin de symboles, les moments où il croit comprendre, ceux où il sait qu'il n'a rien compris.
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