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          | Roman

8 juillet 2015 : William Golding, Sa Majesté des Mouches (posté le 08/07/2015 à 16:19)

Quand l'enfance s'ensauvage, elle devient terrible. Des garçons bien comme il faut, tous issus d'un de ces collèges britanniques qui sont l'ultime joyau de la civilisation, se retrouvent livrés à eux-mêmes dans une île déserte. Quel joli jeu! Il faut nommer un chef, entretenir un feu pour qu'on puisse les sauver, cueillir des fruits et chasser des cochons roses. Le paradis… Sauf que ça dégénère très vite, parce que les enfants sont des enfants. Les plus petits ont peur. Les plus grands oublient leurs responsabilités. Le feu s'éteint. Des rivalités naissent. Des camps se forment. Les chasseurs deviennent sauvages. Ils jouent à la mort et sont perdants. Plus rien ne tient. Bref, ce roman bat en brèche l'idée que tous les enfants sont innocents. Les enfants y sont des hommes sans garde-fou. Ils sont sans raison quand le plaisir l'emporte. Ils sont capables des pires horreurs. Ils sont des hommes, c'est tout. Si des petites filles s'étaient retrouvées dans la même île, auraient-elles échappé à la furie de la vie sauvage? Peut-être aurait-ce été pire… 

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25 juin 2015 : Samuel Beckett, Murphy (posté le 25/06/2015 à 14:20)

Chez Beckett, la bizarrerie semble normale. Murphy végète dans sa berceuse, il se lie avec des femmes pour le plaisir de la rupture, se fait engager dans un asile de fous pour y jouer aux échecs et disparaît aux yeux de ses amis qui, presque aussi bizarres que lui, le cherchent sans succès, tout en se cherchant parmi. Tout cela se passe au milieu de réflexions aussi profondes qu'impensables sur la nature de l'esprit. La folie se laisse bercer par la raison ou peut-être est-ce le contraire. Le monde de Beckett oublie les corps mais ceux-ci reviennent à l'improviste, avec leur cortège d'incongru. Le lecteur assiste, perplexe et subtilisé, à un jeu d'ombres. Il parvient parfois à y prendre un peu de plaisir. 

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28 mai 2015 : José Carlos Somoza, La Théorie des Cordes (posté le 28/05/2015 à 20:05)

Faire du roman avec de la physique est dangereux. On risque ou la complexité trop ardue ou l'affabulation sans fondement. Ici, on est plus proche de l'affabulation que de la complexité, me semble-t-il, à moi non-physicien. Le livre joue avec le temps, d'abord avec l'attente, dans toute la première partie où l'on sait qu'il se passe quelque chose de terrible tout en repoussant à toujours plus tard la révélation, puis avec les cordes de temps de la physique, avec le passé qui vient troubler le présent, le détruire peut-être, lui faire perdre tous ses repères. Faire renaître le passé, qui ne l'a pas rêvé? Voir pour de vrai des dinosaures ou des femmes en pleur à Jérusalem au temps de Jésus, qui n'est pas titillé par un tel délire? Le rêve a beau tourner au cauchemar, la physique a beau créer du sacrilège, on se prend à croire que le temps peut se retourner, que nous n'y sommes pas totalement soumis et on se jette, inconscient des terribles conséquences, dans le zigzag d'un temps perdu et retrouvé. 

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25 mars 2015 : Dashiell Hammett, Le faucon de Malte (posté le 25/03/2015 à 21:51)

Le roman noir, au temps du faucon de Malte, se cherche encore. Le héros n'est pas encore un flic dépressif comme dans les centaines de bouquins scandinaves qui pullulent aujourd'hui. C'est un détective privé à l'ancienne, un peu louche, qui se laisse presque avoir par une bande de voleurs et par les yeux doux d'une "femelle". Autour de lui rôdent de drôles de gens, métèques efféminés, veuves faciles à consoler, caïds énervés pas secs derrière les oreilles, fumeurs de cigares grassouillets. Tout ça tombe dans les pommes, se castagne et complote pour retrouver un trésor, puis se tire en loucedé (ça, ça fait très roman noir mal traduit) quand ça commence à sentir le chupion. On est allé beaucoup plus loin dans l'imagination criminelle  aujourd'hui, mais ce retour aux source d'un genre fait du bien. 

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20 février 2015 : Lydie Salvayre, Pas pleurer (posté le 20/02/2015 à 11:58)

Le récit se mélange dans ses langues. Des restes d'Espagne remontent à la surface pour dire un souvenir, le seul qui reste, celui de l'été 36, ce bref moment dans l'existence d'une jeune fille où tout a semblé possible, la liberté, la révolution, l'amour, la Vie. C'est bien sûr une parenthèse, un flash, parce l'anarchie est une utopie vite balayée par l'horreur des massacres bénis par l'Eglise, par les Grands Cimetières sous la lune (a-t-on trouvé plus beau titre pour dire une tristesse?), par le renoncement et les vestes qui se retournent, par le retour au fatalisme, à la misère des paysans qui ne connaissent qu'elle, à l'enfermement d'un mariage sans amitié, à l'exil des femmes et des enfants. Ce roman fait du bien parce qu'il est à la fois lucide et rêveur. Montse, pour sourire malgré tout, revit sans cesse sa seule saison heureuse. La vieillesse fait bien les choses. Quand l'été 36 sera oublié, elle mourra. 

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16 février 2015: Denis Diderot, La religieuse (posté le 16/02/2015 à 13:28)

Liberté d'expression, le mot est sur toutes les lèvres. Diderot rappelle qu'il s'agit de liberté tout court. Il raconte l'enfermement d'une gamine qu'on voue, sans la consulter, au couvent, et sa révolte non pas contre la religion mais contre ceux qui se permettent de penser à sa place. Mais s'agit-il vraiment de pensée? Elle refuse de se laisser faire, alors on lui mène une vie infernale, avec bonne conscience. Si elle ne veut pas de la vie religieuse, c'est qu'elle ne veut pas de Dieu, alors tout est permis. Le raisonnement est on ne peut plus banal. L'enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions. Peut-être n'est-ce pas cela. L'enfer est pavé de foi qui ne pense pas. La pauvre fille est ballotée d'un couvent à l'autre. Elle ne comprend rien à l'affection trop appuyée d'une supérieure qui ne voit pas de mal là où l'Eglise (sauf un curé suisse allemand cloué au pilori pour humanisme, parce que des Diderot aujourd'hui encore sont nécessaires) dessine le diable. Le combat désespéré de cette pauvre religieuse malgré elle, c'est le combat de la liberté de conscience, qui reste à mener, tant l'enfermement de ceux qui sortent du moule reste de mise. 

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14 janvier 2015 : Emile Zola, Au bonheur des dames (posté le 14/01/2015 à 21:43)

Le commerce tout puissant, voilà un sujet d'actualité. Zola, dès ses débuts au dix-neuvième siècle, en voit la violence et l'énergie. Il montre les rivalités des travailleurs mis en concurrence et jetés à la rue selon le bon vouloir du patron. Il montre les petits commerçants qui meurent les uns après les autres en cherchant à s'accrocher à leurs traditions. Il montre la frénésie acheteuses de femmes redevenues animales. Il montre le monstre qui enfle. Pourtant, la machine s'enraie. Un grain de sable vient redonner un peu d'espoir. Une vendeuse résiste au patron. Une femme se refuse au séducteur sans vergogne qui construit sa fortune sur le mépris des femmes. Un calcul inattendu s'introduit dans l'équation : l'amour. 

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22 novembre 2014 : Charles-Ferdinand Ramuz, Aline (posté le 22/11/2014 à 20:42)

La tragédie ordinaire perce sous le poids des conventions. On ne fréquente pas, quand on est une pauvresse, le fils du syndic, on ne se donne pas à lui, on ne laisse pas venir l'enfant. Aline est trop tôt touchée par l'amour. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle se laisse envahir par son coeur et elle meurt d'avoir voulu vivre. Ramuz ne complique rien. Il laisse venir les mots de tous les jours, les paroles toutes faites des gens qui ne pensent que par habitude, la routine de l'air du temps. Aline est condamnée parce que les femmes et les pauvres sont toujours fautifs. Julien se marie en grandes pompes. C'est un homme riche. L'enfant, c'est la faute d'Aline. La vie est injuste mais c'est comme ça. A chacun ses malheurs. 

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1er novembre 2014 : Patrick Modiano, L'herbe des nuits (posté le 01/11/2014 à 16:23)

Les méandres de la mémoire se perdent dans les rues de Paris. Des noms ressurgissent, Paul Chastanier, Duwelz, Gérard Marciano, Dannie surtout. En pointillé, on devine que le narrateur l'a aimée. Il l'avoue presque. Elle n'avoue pas. Que n'avoue-t-elle pas? Il s'est passé quelque chose de grave. Des Marocains y étaient-ils mêlés? Qui a-t-elle tué? L'a-t-elle vraiment tué? Il reste de ce passé mystérieux un carnet noir et des souvenirs qui se cherchent sur les quais, dans des quartiers qu'on ne reconnait plus, près des rames de métro, sur des bancs publics. Le temps se mélange les pinceaux. Jeanne Duval n'est pas morte. Dannie semble réapparaître. Un enquêteur revient, des années plus tard. Plus tard que quoi? Il y a, au milieu du roman, un vide, une tache d'ombre, des gens qui ne sont plus réels, Aghamouri, une adresse, poste restante, une maison à la campagne, ailleurs qu'en Sologne. Le lecteur se perd autant que le narrateur et il se penche lui aussi sur son passé. Je lisais hier des noms dans un journal que j'écrivais jadis. Ils ne me disaient rien. 

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29 octobre 2014 : Arto Paasilinna, Le cantique de l'apocalypse joyeuse (posté le 29/10/2014 à 11:15)

Alors que le monde se déglingue à petit puis à grands feux, une petite communauté naît, presque par hasard, au fin fond de la Finlande. Il s'agissait au départ d'honorer la mémoire d'un homme en construisant une église, sans autorisation ni bénédiction, juste parce que c'était écrit dans son testament. Au fur et à mesure que la terre s'effondre, que New York est enseveli sous la merde, qu'éclate la Troisième Guerre mondiale et que se prépare la fin du monde, la petite communauté grandit, retrouve des gestes anciens, attire les écolos, se trouve une pasteur, se crée une petite armée de franc-tireurs, s'étend jusqu'aux confins de la Russie. A la fois visionnaire et loufoque, ce petit roman fait plaisir. On y voit des épopées qui transportent des cercueils, des ours et des bombes H. On y pratique une médecine très alternative. On y rencontre des personnages sortis de nulle part. On se dit qu'on rejoindrait bien les gens d'Ukonjärvi, qu'on irait bien avec eux à la chasse et à la pêche, qu'on aimerait bien créer une communauté qui leur ressemble, qui ne soit pas engluée dans sa fuite en avant vers l'éclatement. Est-il déjà trop tard? 

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