|
| Ecriture de soi

2 septembre 2011 : Jean-Philippe Toussaint, Autoportrait (à l'étranger) (posté le 02/09/2011 à 20:52) |
Quand Toussaint se livre, c'est avec un sourire en coin ou une larme esquivée que l'oeil ne laisse pas couler. Le lyrisme enfoui ne remonte à la surface que devenu allusion, et, comme dans ses romans, les situations bizarres de la vie errante de l'écrivain prennent une densité poétique et un humour mine de rien qui charment et surprennent à tout moment. Dans un pousse-pousse à Hanoi, c'est le temps qui s'arrête au milieu de l'infernale circulation, avant que quatre générations d'écrivains vietnamiens ne supplient Jane Birkin de leur chanter une chanson (sans qu'il ne nous soit jamais expliqué ce que Jane Birkin peut bien foutre à Hanoi). Au Cap corse, c'est une partie de pétanque remportée qui acquiert (mais pourquoi ?) le statut de "plus beau jour de ma vie". A Berlin, c'est l'hostilité de la vendeuse de viande qui suscite la terreur d'un auteur, qui se retrouve, quelques pages plus loin, coincée sur une route tunisienne avec des femmes archéologues, à l'endroit où, prémonition non réalisée, la mort devait survenir. Bref, des instants sont saisis au vol, passés au crible de l'écriture, qui, en en montrant la bizarrrerie ordinaire, en fait des moments de plaisirs et de rigolade pour un lecteur séduit. | |
6 avril 2011 : Francis Veber, Que ça reste entre nous (posté le 06/04/2011 à 19:30) |
Qui se cache derrière François Pignon ? Ces Mémoires ne nous l'apprennent pas vraiment : un juif arménien, fils d'un homme en pyjama et d'une romancière de gare, petit-fils d'un homme qui veut qu'on se lave les maines et d'une femme que deux Chinoises à poil dans son corridor ne choquent pas, mari infidèle repenti. L'intérêt du livre est sans doute ailleurs, dans la peinture parfois vitriolée, parfois tendre des figures du cinéma, des producteurs tartuffes aux acteurs de génie. Quelques figures se détachent, celle de Jacques Villeret, dont l'alcoolisme est décrit avec sensibilité, celle de Pierre Richard, et surtout celle, tonitruante, de Gérard Depardieu, ogre fou quand il excite les alliénées d'un asile du haut d'une grue sous le regard sévère du sobre Jean Reno, émouvant aux larmes et grossier personnage quand il lit la lettre de Cyrano et pétant, grand acteur, mais trop souvent, entre le début et la fin d'un tournage, devenu gros acteur. Le petit monde du cinéma s'amuse sous la plume d'un scénariste qui ne renonce jamais, même en décrivant les moments difficile de son existence, à lancer un petit trait humoristique qui donne au lecteur de ce bouquin un plaisir sur lequel il serait idiot de cracher. | |
22 janvier 2010 : Albert Cohen, Le livre de ma mère (posté le 22/01/2011 à 23:34) |
Qu'écrire de plus ? Il est des livres que l'on lit bouche bée. Et pourtant, tout ça aurait pu être, est parfois, kitsch, gentil, sentimental. Un fils pleure sa mère morte, la fait revivre par l'écriture, sait que ce n'est qu'illusion. L'absurde mort rôde, toujours revenante, les souvenirs attendrissants, pitoresques ou honteux, n'étant à jamais que des souvenirs. La mort, un point c'est tout. Et l'amour. Pour rien. Pour plus personne. Les mots de Cohen, mort lui aussi, scandent un hymne révolté qui ébouriffe. Qu'il est rare, qu'il est impressionnant, qu'il est troublant de se ramasser en pleine poire les paroles d'un génie, d'un lucide, d'un homme simple qui souffre pour de vrai, mais qui rigole encore un peu devant la danse ridicule des singes humains qui vivent comme s'ils étaient des dieux, alors que Dieu lui-même n'existe pas, sauf dans le souvenir d'une mère disparue ! L'horreur de la mort et le péché de la vie, sans ambage et camouflage, sans verni, sauf quand c'est par amour, il est impossible que cela soit dans ce petit parallélépidède de papier que je regarde, fermé, mort comme la maman d'Albert Cohen. Pourtant si. | |
13 décembre 2010 : Charles Bukowski, Journal d'un vieux dégueulasse (posté le 13/12/2010 à 22:20) |
Vieux pornocrate alcoolique, Bukowski pourrait être le charme de l'interdit, sauf qu'aujourd'hui, l'interdit, ça fait recette. Il suffit qu'on parle de cul un peu crûment pour qu'on recoive le Goncourt (Houellebecq) ou le Renaudot (Despentes). Il y aurait donc autre chose dans Bukowski. Quoi? Bizarrement, le vieux dégueulasse, toujours une bière au fond du gosier et sans gêne aucune pour quelle cochonnerie que ce soit, paraît sympathique, presque attendrissant. Est-il libre? Esclave de la boutanche et de la baise, homme frigorifié errant de ville en ville à la recherche d'il ne sait quoi, il dit quelque chose de notre monde, indifférent aux pires horreurs, mais, au fond, tout au fond, derrière la crasse de la vie ordinaire et des vices exposés au grand air, sensible, poète, faible, regrettant de ne pas avoir pu faire autrement que d'agoniser dans le vomi. | |
3 mars 2009 : Eugène Ionesco, Journal en miettes (posté le 07/03/2009 à 13:34) |
Récits de rêves, angoisses, pensée de la mort, obsédante, tentative de la dépasser, Ionesco cherche à y comprendre quelque chose. Tentations bouddhiques, psychanalytiques, judaïques, apaisement esquissé, mais rien n’y fait. Il ne rêve pas le rêve absolu, qui éclairerait la réalité et il continue à vivre, à aimer vivre dans l’angoisse, la pire des peurs parce qu’elle ne sait pas de quoi elle a peur. Comprend-on mieux l’œuvre d’Ionesco en lisant son journal ? Oui, on retrouve, expliquées, ses obsessions, le langage qui ne dit rien dans La Cantatrice chauve, la mort dans Le roi se meurt, etc, mais, il le dit lui-même, tout ça, c’est du contexte qui entoure l’œuvre, qui dit tout ce qui permet l’œuvre, mais ne dit rien, fondamentalement rien sur l’œuvre, qui est œuvre justement parce qu’elle résiste. Bien souvent, les pensées exprimées par Ionesco sont banales, la mort inéluctable, le mystère du « je », l’inutilité de la littérature, etc. Ce qui est intéressant, c’est que cette banalité est assumée. Les questions que se pose Eugène Ionesco, tout le monde se les pose et invente des réponses. Lui ne ment pas. Il n’a pas de réponse, cherche, échoue, son œuvre demeure absurde. Ses rêves n’ont pas d’explications. L’angoisse reste. | |
7 février 2009: André Gide, Voyage au Congo, suivi de Le retour du Tchad (posté le 07/02/2009 à 14:17) |
Grand explorateur et grand dénonciateur, Gide observe l'Afrique coloniale, il chasse les papillons et les injustices, raconte ses surprises, casse des lieux communs en en confirmant d'autres. Non, les noirs ne sont pas tous des fainéants, il suffit de bien les traiter et ils acclame le 'gouvernement'... Etrange sensation de lecture : j'aurais souhaité pire, une vision plus caricaturale de la colonisation, une légende noire. Je vois une position raisonnable et le scandale provoqué par le livre à sa sortie m'échappe. Bien souvent cette lecture m'ennuie, le discours me paraît stéréotypé, l'exotisme s'aplatit, le voyage s'enlise. L'Afrique demeure à l'autre bout du monde. Gide n'y comprend rien. Moi non plus. | |
13 juillet 2008 : François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (posté le 27/12/2008 à 17:47) |
Marathon de lecture, plus d'un an, à petites doses, arrivé au bout, un livre que l'on lit pour l'avoir lu, pour l'inscrire à son palmarès. Lues à l'armée et à la piscine, pour le fun, les élucubrations de Chateaubriand ont-elles valu la peine qui j'y consacre tant de temps ? Tentation de répondre non, l'homme, trop sûr de lui et trop enclin à la plainte, énerve. Voilà, un coup dans l'eau ? Pas tout à fait. Lire Chateaubriand est sans doute nécessaire pour comprendre le début du 19ème siècle, le romantisme, la fascination critique pour Napoléon, les enjeux politiques de cette période troublée, etc. C'est l'historien plus que le littéraire en moi qui a apprécié cette lecture, qui s'est plongé dans la restauration et la monarchie de juillet, périodes d'apparence si barbante que l'on préfère les aborder par la bande, où Chateaubriand, dont le rôle politico-diplomatique est sans doute exagéré par ses propres soins, se trouve. Homme dans son siècle, pris dans la tourmente d'années qui changent tout, Chateaubriand est un précieux témoin, mais il n'est, à mon sens, rien de plus. Constatons que son écriture ne nous parle plus, qu'on s'y emmerde souvent, que les élans pré-proustiens sont vite brisés par un orgueil un peu lourd et un sens de l'honneur un peu rigide. Chateaubriand est encore un auteur ancien et aristocrate, il assiste à son propre crépuscule, s'en rend compte, voit ses rêves de gloire tomber avec ce qu'il nomme la "légitimité" et se doute un peu que deux siècles plus tard, le lire tiendra de l'exercice scolaire ou du défi sportif des lecteurs de fond. Refermons le livre. J'y ai sans doute déjà perdu trop de temps. | |
3 juillet 2007 : Barbara, Il était un piano noir… Mémoires interrompus (posté le 24/12/2008 à 16:05) |
Dis, quand reviendras-tu ? En écoutant Barbara nous raconter un bout de sa vie, on se remet à l'aimer, simplement, comme on aime ses chansons, simples, qui touchent là où ou ça touche, à l'être. Une retenue, une pudeur, une passion, une faiblesse (une force) et un amour intarissable dans les mots d'une vie dure, un père horrible à qui Barbara donne, car Barbara donne, elle ne fait que donner, son pardon dans sa plus grande chanson, sommet de finesse, et tendresse, de désespoir et d'émotion pure que l'on n'entend pas sans un pincement là où ça pince, un peu partout. Barbara parle de ses débuts, de son obsession, chanter, qui la pousse au bord de la prostitution. Elle n'y tombe pas. Elle rencontre des hommes qui la sauvent. Elle achète enfin un piano, noir, bien entendu, tout est noir chez Barbara mais d'un noir lumineux, d'un noir de joie. Elle tricote, passionnément. Elle aime des hommes mais ne leur sacrifie rien, ni sa voix, ni la scène, ni le tabouret réglé à soixante et un centimètres de hauteur, ni le public, sa plus belle histoire d'amour, qu'elle respecte au point d'être tyrannique avec ses collaborateurs. Barbara ou la chanson anoblie, après qui fredonner devient le premier des arts, celui de tous les jours, de cette femme qui, sous la pluie, attend, joyeuse, que revienne son bonheur, son Pierre, de cette dame en noir qui, digne, alors qu'elle sait que plus jamais elle ne chantera, nous donne un dernier cadeau, une écriture fine, encore et toujours, tant la finesse est la marque de noblesse de madame Barbara. Mais cessons d'écrire. Elle chante Nantes. | |
24 mai 2007 : Jacques Jérôme Casanova, Mémoires 1744-1756 (posté le 24/12/2008 à 14:02) |
Délicieux mélange que Casanova, séducteur amoureux, libertin certes, mais sans une once de méchanceté, Valmont sans Merteuil, qui préfère faire le bien de ses victimes tout en les abandonnant sans cesse après leur avoir promis un mariage qu'il fuit à chaque fois pour suivre le hasard d'une destinée sans but, joyeuse errance de plaisir en plaisir, de tentation en tentation, de femme en femme, à chaque fois adorée éphémèrement pour toujours. Casanova joue, toujours, avec son argent, que bien entendu il dépense sans compter comme il se dépense sans compter, avec les femmes, en tâchant toujours que les gagnants soient deux, et avec lui-même, toujours attentif à savoir jusqu'où aller trop loin mais cédant à ses passions qui déterminent chacun de ses actes sans pour autant qu'il ne perde la tête. Casanova donc, figure de la liberté, qui s'évade génialement de prison en bravant tous les dangers, qui se joue des naïfs en détournant à ses fins les croyances religieuses de ses protecteurs et qui retombe toujours sur ses pattes et dans le lit d'une jolie jeune fille, qui l'adule. Casanova, figure de la séduction, ménageant toujours le défi et le secret, disant toujours ce qu'il faut au bon moment et retournant à son avantage les situations les plus désespérées, bref un type qui ne se pose pas de questions, préférant cueillir les fruits que la vie, qui est gentille avec lui, et Dieu y est sans doute pour quelque chose, donc il n'y a pas de remords à avoir, met à sa disposition. Casanova figure d'un XVIIIe siècle qui nous rigole à la gueule et que nous avons sinistrement assaisonné de perversité, le plaisir que nous recherchons tout autant qu'en ce divin temps étant devenu une banalité parce que trop facile en apparence à obtenir dans un monde qui croit qu'il se libère en rendant impossible le retour de Casanova. | |
22 mars 2006 : Alain Robbe-Grillet, Les derniers jours de Corinthe (posté le 10/11/2008 à 19:03) |
L’aventure d’une lecture qui se perd dans le labyrinthe de l’aventure d’une écriture. Le monde de Robbe-Grillet, toujours auto-dévoré, serpent se mordant la queue, errance incontrôlée, a ceci de fascinant que même quand on saute du coq à l’âne, on reste en territoire familier, parce que cet univers dans lequel le narrateur n’est pas toujours le même sans pour autant changer, ce texte tantôt essai, tantôt mémoires, tantôt roman sacrificiel, tantôt récit de voyages, c’est celui dans lequel nous vivons. Emprisonnés dans le vide, nous ne pouvons que gesticuler, jouer à Henri de Corinthe, violer impunément d’innocentes jeunes filles, nous souvenir d’une rencontre, parler de nos romans, tout ça revient au même, au moi. Ce bric-à-brac est sans doute ce que l’on peut faire de plus sincère quand on se propose de parler de soi, même si cela a un prix : l’effacement. Tentant de saisir ce que je suis, je m’échappe, je me dédouble, je disparais pour laisser la place à des images, qui sont moi et qui m’échappent, des récits avortés, des mythes qui naissent, disparaissent, cèdent la place à l’œil, qui détaille ce qu’il perçoit, l’étiquette d’une bouteille de rouge, qui est moi, encore et toujours, et qui n’est pas moi, bien sûr. Robbe-Grillet, c’est la mise à plat. Tout est moi et je ne suis rien, « soudé au vide ». Le monde entier m’assaille en vrac. Tout a la même importance. Et la même insignifiance. L’apologie du désordre qu’est l’œuvre de Robbe-Grillet se détruit elle-même pour faire de l’ordre, les objets sont rangés, les jeunes filles sont alignées, toutes dans la même position, les jambes légèrement écartées, les mains dans le dos, cambrées, une perle de sang… Chez Robbe-Grillet, tout revient. Toujours. Redites. Reprises. Tout est ordre dans ce désordre. Le sang qui perle au pubis des jeunes filles était là de toute éternité, partout, c’est écrit. Dans ce fourre-tout que reprend sans cesse Robbe-Grillet, tout est toujours nécessaire. Et inutile. | |
Supprimer les publicités sur ce site pendant 1 an
|