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          | Histoire

15 juillet 2015 : Michel Foucault, Surveiller et punir (posté le 15/07/2015 à 17:01)

Comment est-on passé du supplice à la discipline? La question que pose Foucault est complexe. Il montre pour commencer la justice telle qu'elle se jouait durant l'Ancien Régime. Il s'agit de punir les crimes en fonction du préjudice subi par la société et, à travers celle-ci, par le roi. Le supplice avait valeur d'exemple. Il était un spectacle, la vengeance d'une société bafouée. Plus le crime était odieux, plus la souffrance du criminel, celle de son corps, augmentait. Rapidement pourtant, vers la fin du dix-huitième siècle, un système tout autre se met en place, celui de la prison. Foucault tente de comprendre le succès de cette institution pourtant décriée dès ses débuts avec les mêmes arguments qu'on entend aujourd'hui encore : inefficacité, production de criminalité, création de récidive, etc. Il montre que c'est à travers la discipline, c'est-à-dire la volonté et la capacité d'une surveillance constante des individus en vue de les ramener sur le droit chemin, que la prison devient un modèle. Il montre que le pouvoir s'y cache tout en s'y renforçant et que la dimension disciplinaire du pouvoir n'est pas l'apanage de la seule prison, qu'elle se manifeste à l'armée, à l'école, dans les usines, bref, qu'elle quadrille la société pour mieux contrôler que chacun est à sa place. Nous vivons encore sous le joug de la discipline. Comment s'en libérer? 

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27 juin 2015 : La caricature… Et si c'était sérieux, Décryptage de la violence satirique (posté le 27/06/2015 à 08:57)

S'il n'est pas certain que la caricature soit sérieuse, ce qui est sûr, c'est qu'elle est dangereuse, dangereuse d'abord pour les dessinateurs confrontés à ceux qu'ils croquent, parce que dénoncer la connerie fait réagir les cons et que les réactions des cons sont forcément connes, mais dangereuse aussi quand la caricature dépasse les bornes. Ce livre écrit en urgence se questionne sur l'histoire de la caricature, sur ses limites et sur ses dérives. Il montre que la caricature a toujours eu ses ennemis, que ceux-ci ne sont plus les mêmes et qu'ils ont souvent les moyens de la faire taire, quitte à éliminer physiquement les dessinateurs. Il montre aussi que ce qui est toléré à une époque l'est moins à une autre, que ce qui choquait hier ne choque plus aujourd'hui, et vice-versa, bref que la réaction aux caricature est le reflet de l'évolution de la société. Il montre enfin que la liberté du dessinateur peut dériver vers l'apologie de la haine, vers le soutien aux dictatures et aux génocides, comme le prouve le succès jadis - et de retour - de la caricature antisémite. Bref, la tolérance à la caricature est sans doute ce qui mesure le mieux le degré de civilisation d'une société. Il semble donc aujourd'hui que la civilisation recule.

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Frédéric Lenoir, Petit traité d'histoire des religions (posté le 14/06/2015 à 16:34)

Faire l'histoire des religions est une entreprise un peu folle parce qu'à chaque instant on risque de se laisser happer par ses convictions personnelles et de reconstruire l'évolution lente et multiforme des croyances pour la faire aboutir soit à sa propre religion, tout le reste n'ayant été que prélude au Christ ou à Mohammed, soit à sa propre absence de foi, tout n'étant depuis le début qu'invention humaine. Ce livre échappe aux deux tentations. Il cherche dans l'humain la source des religions, enquête sur la naissance du sentiment religieux au temps des chasseurs-cueilleurs qui se sentaient partie prenante de la nature et faisaient d'elle leur "Dieu", puis il montre que l'homme s'éloigne de la nature, qu'il sépare la divinité du monde, d'abord en créant de multiples dieux qui interagissent dans un système complexe comme celui de l'hindouisme, puis en sélectionnant un dieu suprême qui petit à petit devient unique. Bien sûr, il serait nécessaire d'aller voir de plus près chacune des religions brièvement expliquées, mais le lecteur se sent quand même à la fin de sa lecture un peu moins ignorant. C'est déjà ça. 

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25 avril 2015 : Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française (posté le 25/04/2015 à 15:12)

La question est complexe. Un événement aussi inattendu, aussi en rupture avec l'Ancien Régime, peut-il être expliqué ou pressenti par l'évolution de la société qui précède sa manifestation brutale? L'évolution provoque-t-elle la Révolution? Ce livre explore quelques changements majeurs sans lesquels aucune révolution n'aurait été possible : l'apparition d'une véritable opinion publique, la diffusion de livres critiques, la diminution de la pratique religieuse, la désacralisation du roi, etc. Il montre également que, paradoxalement, c'est la puissance du système monarchique, son emprise sur la totalité de la société, qui a suscité sa perte, étant donné que toutes les critiques pouvaient se concentrer sur le roi et sur sa cour. Si l'on se révoltait, ce n'était désormais plus contre le seigneur local, mais contre le système (l'expression reste d'actualité, même si elle ne veut pas dire grand chose). Bien entendu, il y a des causes de la Révolution que ce livre ne traite pas, les causes économiques par exemple, mais il a néanmoins l'intérêt de montrer qu'aucun événement ne naît de rien, qu'il n'y a aucun révolution qui ne soit l'aboutissement d'une évolution préalable. 

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8 avril 2015 : Pierre Bayard, Aurai-je été résistant ou bourreau? (posté le 22/02/2015 à 21:08)

La question taraude tous ceux qui s'intéressent à la Deuxième Guerre mondiale et à l'Histoire en général. Et moi dans tout ça? Généralement, on refuse d'y répondre, arguant du fait que les époques sont trop différentes, que le hasard joue un rôle trop important, que l'histoire-fiction n'est qu'un jeu bourré d'incertitudes. Pierre Bayard s'y essaie néanmoins, mais il le fait avec prudence, en s'appuyant sur des expériences psychologiques et des exemples historiques qui montrent à quel point entrer dans la résistance est difficile, à quel point cela implique une révolution intérieure ou une force en soi qui ne se manifeste qu'en des circonstances exceptionnelles. Ceux qui refusent les ordres, au nom de quoi le font-ils? Au nom d'un ordre supérieur s'impose à eux, comme cet ambassadeur portugais qui distribue des visa à tour de bras malgré Salazar ou ces Justes qui sauvent des gens parce qu'ils ne peuvent faire autrement. On leur demande de l'aide. Ils doivent donc aider. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Pourtant, beaucoup refusent cette aide. Pierre Bayard se situe, en s'imaginant à la place de son père né en 1922, du côté des inactifs, de ceux qui voudraient bien faire quelque chose mais qui attendent le déclic. La majorité est dans ce camp-là, celui des immobiles, freinés par la peur, l'image de soi face à la société, la paresse.

Et moi? La question, bien sûr, est encore plus problématique. Je suis suisse, donc plus ou moins en dehors du (ou plutôt encerclé par le) conflit. Si j'avais été à la place de mon grand-père, né en lui aussi en 1922, qu'aurais-je fait? Comme lui, j'aurais fait la mob, caché dans les Alpes, persuadé que si Hitler venait, il serait accueilli de pied ferme. Mon autre grand-père s'était trouvé à la frontière, au Tessin. Il me semble l'avoir entendu raconter que des Juifs fuyaient l'Italie fasciste et tentaient de passer en Suisse. Je ne sais pas ce que grand-papa a fait à ce moment-là et je ne le saurai jamais. Et moi? 

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22 février 2015 : Jean Flori, Guerre sainte, jihad, croisade, Violence et religion dans le christianisme et l'islam (posté le 22/02/2015 à 20:43)

Il s'agit de prendre de la distance, de remonter le fil de l'histoire pour comprendre un peu la folie meurtrière des fanatiques d'aujourd'hui et de jadis. Ce livre compare deux religions. Il montre comment elles en sont venues toutes les deux à justifier la guerre et même à la sanctifier. Leur histoire cependant est tout à fait différente. Si dans l'islam, la notion de jihad apparaît très tôt, dès le prophète lui-même, le christianisme est d'abord non-violent, à l'image de Jésus qui se laisse assassiner et des martyrs qui ne prennent pas les armes. La guerre semble même l'exacte opposée de la doctrine chrétienne, qui pousse la paix jusqu'à l'amour de l'ennemi. Pourtant, cette religion aussi va petit à petit devenir belliqueuse. C'est qu'entre le Christ et les croisades, l'Eglise a pris le pouvoir, qu'elle s'est alliée à des seigneurs de la guerre, qu'elle a obtenu les moyens matériels de s'imposer et qu'elle s'est sentie, comme ce fut le cas pour l'islam dès ses débuts, menacée. Ce livre, loin de prendre parti ou d'essentialiser des phénomènes qui se sont sans cesse modifiés, montre que ce qui permet l'idée de guerre sainte, c'est d'abord des conditions historiques, en particulier l'alliance forte du politique et du religieux. Il est nécessaire de s'en souvenir aujourd'hui: le choc des civilisations est aussi et d'abord un choc politique.

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21 janvier 2015: Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde, Et ceux qui leur résistent (posté le 21/01/2015 à 18:30)

Ziegler n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer le fonctionnement du monde d'aujourd'hui. Il accuse ceux qu'il appelle les oligarques, les prédateurs ou pire, les charognards. Qui sont-ils, ces nouveaux maîtres du monde? Une poignée d'ultra-riches qui se partagent la terre grâce à leurs entreprises multinationales qui pillent sans entrave les ressources humaines et naturelles. Ziegler passe alors en revue le système injuste mis en place pour le profit de quelques-uns : l'évasion fiscale aux Bahamas ou en Suisse, la corruption des Etats soumis, les conditions de travail iniques des petits qui engraissent les gros, la complicité du FMI qui ruine les Etats en leur empêchant d'investir pour leur peuple, la banque mondiale qui ne prête qu'à condition de perpétuer les injustices, etc. Le tableau fait peur. C'est l'hypocrisie d'une idéologie qui refuse de se considérer comme telle qui est pointée du doigt. C'est son aveuglement qui fait qu'elle laisse mourir de faim des millions de personnes tout en spéculant sur les denrées alimentaires, que Ziegler combat. Bien sûr, le propos est sans nuance. Sans doute le trait est-il parfois forcé, mais on sort de cette lecture convaincu que quelque chose cloche. Que faire? Ziegler évoque les mouvements populaires qui contestent la toute-puissance de l'économie libérale. Il semble croire à leur efficacité. On aimerait y croire. 

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24 décembre 2014 : Johan Huizinga, L'automne du Moyen Âge (posté le 24/12/2014 à 12:02)

Saisir les frémissements d'un temps nouveau quand se meurt une époque, voilà ce que tente ce livre. Il s'attache à décrire l'écorce médiévale qui se vide de sa sève et il passe en revue les idéaux qui se figent : la chevalerie qui, toute puissante dans la représentation, se fait déjà Don Quichotte dans la réalité; l'amour courtois, qui se perd sous des symboles qui se multiplient à foison; la foi chrétienne, qui devient album d'images arrêtées ou folies de saints jusqu'au-boutistes; l'apparat des cours, qui sous sa chatoyance ne bouge plus; la pensée, qui se noie dans l'allégorie et le détail; l'art, qui enlumine plus qu'il illumine; les lettres, qui ressassent la parole creuse d'un âge qui n'invente plus rien. Certes, on aurait aimé que l'enquête s'attache aux petites gens, on aurait bien voulu voir un peu du quotidien d'un temps oublié, mais le spectacle d'un monde qui se vide de sa substance (comme le nôtre?) incite à réfléchir. La question que pose ce livre est la suivante : comment une civilisation meurt-elle? Elle esquisse alors une autre question : comment ensuite renaît-elle? 

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5 novembre 2014 : W.G. Sebald, De la destruction comme élément de l'histoire naturelle (posté le 05/11/2014 à 16:53)

L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs, dit-on. Ce petit livre qui se questionne sur les bombardements en Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale le prouve une fois de plus. Ce qui étonne Sebald, c'est le silence de la génération d'après-guerre sur ces bombardements. Il fouille dans la littérature mais il n'y trouve pas grand chose, ou alors une esthétisation des faits qui ne dit rien sur ce qu'ont vraiment vécu les Allemands pris au piège dans les décombres de leurs villes détruites. Pourquoi ce silence, ce trou de mémoire, ce tabou? S'agit-il de culpabilité? Pourtant, pour une fois, le peuple allemand est victime. Quoique... Ce qui provoque les bombardements, c'est d'abord la fuite en avant des nazis, soutenus ou du moins tolérés par le peuple qu'ils ont pris en otage. Peut-on être à la fois complices et victimes? Les bombardements sur les villes allemandes montrent que plutôt que de répondre à cette redoutable question, il est plus simple de faire comme si rien n'avait eu lieu et d'enfouir une époque gênante dans l'oubli. Le passé pourtant refait toujours surface et le colosse allemand ne marche pas tout à fait droit dans les bottes qui cachent ses pieds d'argile. 

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23 octobre 2014 : Ian Kershaw, Hitler, Essai sur le charisme en politique (posté le 23/10/2014 à 19:10)

Hitler, aujourd'hui incarnation du mal, diable moderne, symbole de la plus odieuse des tyrannies, fut un homme populaire. C'est même pour cela qu'il a pu devenir le Hitler qu'on connaît. Comment cela se fait-il? Comment celui qui nous semble aujourd'hui si ridicule, si hargneux, si caricatural, si fou, a-t-il pu séduire le peuple allemand? Ce livre retrace le parcours du chef nazi, montre comment il a tissé sa toile, comment il a répondu à un vide, comment il s'est d'abord créé un cercle de fidèles dévoués corps et âme, parce qu'il était bon orateur, comment il a répondu au besoin ressenti par les élites conservatrices puis par une grande partie du peuple de trouver un homme fort, stable, qui redresserait l'Allemagne, la vengerait de ses hontes, la purgerait de ses ennemis intérieurs. Il montre aussi comment on l'a laissé accaparer tous les pouvoirs, comment il est devenu le centre de tout ce qui se décidait en Allemagne, comment il a détruit tous les rouages de l'Etat pour être le seul homme a pouvoir décider de quoi que ce soit (même de l'interdiction des courses de chevaux en pleine guerre totale). Tout, dans le système nazi, reposait sur la destruction. Tout, de plus en plus, le destinait à sa propre destruction. Le suicide d'Hitler est un suicide collectif. Le peuple allemand fut-il victime, coupable, complice ou spectateur? Il fut tout cela à la fois. 

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