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| Ma musique
Ecrire sur et à partir de la musique a-t-il un sens? Souvent, il semble que la musique se suffit à elle-même, mais je ne peux m'empêcher de lui donner des mots, de la décrire ou de l'interpréter, de me souvenir des cadeaux qu'elle m'a offerts, des émotions qu'elle m'a procurées et du silence qui s'est brisé grâce à elle.
J'écrirai donc, au hasard de mes musiques, ce qu'elles m'inspirent.
Bernard Dimey, Les enfants de Louxor (posté le 27/01/2015 à 19:04) |
Un caillou, c'est un bout de pyramide. S'y dessinent parfois des enfants déjà vieux, de profil, et qui dansent. La voix de Bernard Dimey, calme et presque silencieuse, troublée légèrement quand le piano s'emballe un peu, raconte des rêveries qui remontent à la source et qui descendent le temps, tranquilles, pour se laisser mourir sans chercher à comprendre les remous de la vie. | |
Marie-Paule Belle, Jersey Guernesey (posté le 26/01/2015 à 15:48) |
Il suffit d'un peu d'eau mal venue pour briser des destins qui s'étaient cru proches. Tu es sur l'île d'à côté. Je suis sur celle-ci. Le bateau a coulé. La chanson nous mélancolise. Elle n'est qu'une larme de plus dans la mer, mais elle creuse le fond marin à la petite cuillère, avec laquelle, à la fin, on nous ramassera. | |
Raymond Devos, Le courant d'air - Ma femme (posté le 25/01/2015 à 19:12) |
"Ma femme et moi, quand on s'est connus, on était tellement timides tous les deux, qu'on n'osait pas se regarder. Et maintenant, on peut plus se voir." Le jeu de mot peut paraître plat, mais chez Devos, rien n'est jamais plat, tout dérive au fil des sons, tout déconne pour un rien, une syllabe qui fait la follette, un double-sens en double-file, une fenêtre qui s'ouvre et se referme, un courant d'air qui tourne. Il semble que cet humour-là, cet amusement simple qui ne prend pas la tête tout en la cassant, a disparu aujourd'hui. Il faut, pour qu'on se marre, du scandale ou de la parlotte improvisée qui se fout de la puissance idiote des bons petits mots. C'est bien dommage. | |
Ludwig van Beethoven, Premier Mouvement Allegro con brio du Concerto pour piano et orchestre n°1 en Do Majeur, op.15, par Dubravka Tomsic au piano et l'orchestre symphonique de la radio de Ljubljana, sous la direction d'Anton Nanut (posté le 04/01/2015 à 20:52) |
Beethoven fout la pétoche. Je le revois, sur ce poster menaçant, au dessus du piano d'une petite salle du château d'Avenches, l'oeil noir, les cheveux rebelles, l'air méchant. Je sors ma clarinette en tremblant mais comme je joue un truc d'un autre compositeur, je suis rassuré. La pianiste tremble un peu. Beethoven, qu'on le veuille ou non, ça en impose. D'abord, il y a l'orchestre, qui plante à grands coups de maillet un décor puissant, bariolé de mille couleurs vives et sérieuses, puis, sur la pointe des pieds et avec toujours plus de niaque, le piano prend le relais, donne à ce tableau lourd la légèreté qui lui manquait, des envols mélancoliques vers un infini digne du maître, des escaliers qui montent toujours plus massifs vers un ciel bourré de gloire, une course sautillant vers un azur qui ne se cassera jamais la figure. La mélodie dénichée derrière les fagots d'une forêt immense se met alors à chanter sans fin son plaisir d'être née de la main d'un génie comme Beethoven. Jamais rien, chez Beethoven, n'est petit. Tout toujours prend de l'ampleur. Tout en rajoute. Tout se redit sans se répéter. Tout se martèle sur des touches qui tombent amoureuses de celui qui sait si bien les chatouiller et les battre. Beethoven toujours est Beethoven. | |
Comedian Harmonists, Perpetuum mobile (posté le 02/01/2015 à 17:52) |
Il fut un temps où même l'Allemagne fut légère. Ce fut le temps des Comedian Harmonists, l'honnie République de Weimar, l'entre-deux-horreurs qui se croyait à l'abri des loups. On pouvait alors s'amuser avec des sons qui sautillaient de la bouche au piano, avec des contre-temps sourdingues en sourdines, avec des soupirs délicieusement souples, avec des picotis pointus bercés au coin du bon sens insouciant des contrebasses vocales. La parenthèse fut courte mais elle fut heureuse. Puis on remarqua que les Comedian Harmonists étaient juifs. | |
Jacques Higelin, Tomorrow morning (posté le 02/01/2015 à 14:35) |
Un petit délire à l'anglaise, ça vous dit? Jacques Higelin se lâche et l'écriture ici aurait envie de l'imiter. Elle aussi voudrait dire "hello" à la Queen Elisabeth (chez nous, on dit la couenne) et "it's jubilatoire" (chez nous, on dit "it's bonnard") en se prenant pour John Lennon (chez nous, les nonnes ânonnent de ave et des pater). Elle aussi voudrait mélanger sa langue (de boeuf ou de chat) avec Julia, la fille au pair (de…), en arrosant la pelouse et les rhododendrons. Elle aussi voudrait manger du porridge et du pudding (non, là, y'a quand même des limites au délire, l'estomac n'y tiendrait pas) et jouer du piano à bretelles de traviole, en chantant un couplet anglais à la Trolley (la la la la…). Elle aussi voudrait se réveiller tomorrow matin dans les bras de Cendrillon ou d'un House Guard of Buckingham Palace au bonnet bien poilu. But today the sky is grey (et d'une seule nuance) and Julia isn't in the bathroom. Jamais l'écriture ne délirera autant que Jacques Higelin. | |
Carl Orff, "Ego sum Abbas" des Carmina Burana, par Dieter Fischer-Diskau, le choeur et l'orchestre de l'opéra allemand de Berlin, sous la direction d'Eugen Jochum (posté le 02/01/2015 à 14:06) |
Le pays de Cocagne se défroque. A un curé dépravé, menaceur, hurlant, plein à raz-bord de sa folie d'ogre en manque d'ouailles bien fraîches à dévorer, répondent des cris sauvages, des aboiements ivres morts, des tapolets persécutés, des grelots fissurés et des cors cornus. Le diable se cache, pas loin, dans les détails. Dieu détale. Tout s'inverse. Le curé soulève sa soutane. Il n'était que le curé de Camaret. Eclat de rire grotesque. Le vieux monde déjà revient sur ses pas. | |
Johannes Brahms, Deuxième mouvement Andante sostenuto de la symphonie n°1 en do mineur, op.68, par l'orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction d'Herbert von Karajan (posté le 28/12/2014 à 22:33) |
Peut-on aller plus loin dans le romantisme? Tout, dans cet arrêt sur paysage qu'est le deuxième mouvement d'une symphonie, est mélodie qui s'ouvre sur un monde de mystères et de merveilles. Quelle est la couleur, quelle est l'heure, quelle est la saison de ce paysage? La musique n'en dit rien. Elle s'y délecte et s'y amuse. Elle y marie le hautbois et la clarinette. Elle y frétille des pizzicatos qui s'effacent devant le chant du violon amoureux. Tout, à force de vivre, trouve un calme épais et léger, une douleur-douceur, une larme sans pleur que seul un bonheur parfait peut inventer. Est-ce cela, le romantisme? Si c'est cela, il est grand temps de s'y replonger comme on plonge dans un océan où personne ne se noie. | |
Pierre Perret, La rue perce oreille (posté le 28/12/2014 à 19:37) |
On l'a tous croisée un jour. Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore, dirait le poète. Pierrot est plus terre à terre : Suzon, Lisa, Lola, un de ces prénoms anciens qu'on amie bien? On s'en fout un peu, de son prénom, en fait. Ce qui nous donne à rêver, c'est "quand son corsage éclate". Cette fois, vous l'avez reconnue? Oui, c'est bien elle, vous l'avez encore vue tout à l'heure. Non, non, elle n'est pas mariée, ou bien peut-être que oui, mais avec un vieux à la diète dont le diabète nous délivrera. C'est celle qui vous dit "toi, je t'aime" et qui se laisse faire si gentiment, la nuit quand vous êtes tout seul. C'est celle qui, quand vous vous rappelez que cela n'est qu'un rêve, vous mouille les lunettes. N'y songez plus, vous en deviendriez fous. | |
Leonard Bernstein, One hand one heart, de West Side Story, par Marni Nixon et Jimmy Bryant (posté le 28/12/2014 à 18:57) |
Plongeons sans vergogne dans le kitsch le plus dégoulinant. Ils s'aiment. Ils se promettent monts et merveilles. Quelque part, bercé par les étoiles, un clarinettiste (j'aime à penser que c'est moi) tient la chandelle (en fait, non, je préfèrerais que ce soit un autre). Des violons sirupeux comme on les aime déferlent calmement sur un monde enfin en paix, sur un amour que rien jamais ne brisera, sur la beauté pure de deux enfants qui se fondent dans une harmonie parfaite.
J'entends déjà les quolibets des sceptiques, les vieillards aigris qui se tapent sur le ventre, les réalistes mornes qui marmonnent qu'on n'est pas "dans le monde des bisounours", mais, eux, les amoureux innocents, ils ne les entendent pas. Alors, qu'on leur foute la paix un moment! Les emmerdes arriveront bien assez vite. Il faut parfois rêver que l'utopie devient réalité, sinon à quoi bon vivre?
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