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| Poésie
27 janvier 2012 : Maurice Scève, Délie, objet de plus haulte vertu (posté le 27/01/2012 à 16:07) |
Malgré l'ombre tenace d'Yves Giraud et de cours interminables, le retour à l'obscure poésie de jadis est semé d'autant de doutes que de plaisirs. Certes la langue est perdue, le sens fuyant et les références oubliées, mais il reste une joie de retrouver les figures familières et éternelles de la poésie amoureuses, les yeux-flambeaux, astres plus luisants que le soleil, les oxymores délicieuses de la froidure qui réchauffe, de la vie qui est plus morte que la mort, de l'absence qui renforce la présence, bref tous les lieux communs de l'expression d'un sentiment qui, bien que rabaché depuis toujours, ne cesse pas d'étonner, d'échapper, d'exalter et de décevoir, cette folie amoureuse qui sommeille en nous pour se réveiller, mystérieusement, au moment le plus inattendu. | |
17 décembre 2011 : Pétrarque, Canzoniere (posté le 17/12/2011 à 17:32) |
Revenir aux sources de la poésie amoureuse, même s'il manque l'italien pour boire l'eau de l'inamoramento, instant fatal de l'apparition qui fit tant de bien et de mal au pauvre poète. Le sentiment amoureux, malgré le temps qui passe, les références culturelles qui s'effacent, les rapports humains qui changent, la femme qui se démystifie, est décrit par ce "je" si présent comme il se ressent encore aujourd'hui, depuis toujours sans doute, par un autre "je", le mien, qui se méfie du lyrisme et de l'exagération, mais qui, parce qu'être amoureux ne change pas, a vécu et vit encore, en sourdine, tout ce qui consuma cet homme si ancien : la joie de la voir et la terreur de lui parler, le chaud au coeur et le froid au corps, l'espérance déçue et le renoncement impossible, le temps qui passe pour le pire, l'idolâtrie des yeux flambeaux, l'inquiétude, les pleurs, les joies pour rien, la folie des mots que l'on n'ose pas dire. Il ne manque que la mort, celle de l'aimée, qui appelle celle de l'homme sans repère, qui ne peut que croire encore en elle, sa belle remontée en sa vraie demeure céleste, celle de l'homme sûr qu'elle n'est plus et ne pouvant y croire qui, une fois le deuil fait, car on fait le deuil de tout, se jette dans les bras d'un Dieu qui, en ce temps-là, pouvait encore consoler les estropiés de la vie. | |
26 novembre 2011 : Paul Eluard, Capitale de la douleur, suivi de L'amour la poésie (posté le 26/11/2011 à 16:27) |
Survol trop rapide entre simplicité des mots et mystère du sens, le sentiment de beauté naît de l'amour, des yeux dont la courbe fait le tour du coeur, des paupières qui se referment sur un rêve profond, sur un sommeil lourd, sur un miroir, sur une présence, sur une absence, sur un nouveau mystère. Le mots simples se mêlent de bizarres pierreries, entre nature vivante, oiseaux de malheur, corps entrevus ou aveugles pensées. Poésie dont il faudrait s'imprégner, qu'il faudrait relire à haute voix, chaque miniature seule, polie comme un diamant, à lire et à relire pour que le sens, caché et simple, touche au coeur l'intime lien de l'amour, de la poésie et de la douleur. | |
12 novembre 2011 : Louis Aragon, Le Fou d'Elsa (posté le 12/11/2011 à 18:15) |
Le voyage à travers le temps, l'espace et les mots se fait mystique d'un amour, d'une femme au nom attendu, mystère, futur et présent, passé mélangé d'aujourd'hui. Qui parle ? Le fou d'hier, ce medjnoûn de Grenade au temps de Boabdil, au parfum d'Islam et d'Andalousie, ou celui d'aujourd'hui, dans ce demain jamais touché, ce maintenant d'Elsa, femme avenir de l'homme? Tout est sans cesse mélangé. Grenade tombe, et la splendeur d'Orient qui s'y dégradait fait place à une catholique refondation. Le Fou ne s'en aperçoit pas, il délire d'amour, et lui seul ne change pas, tourné, révolutionnaire, vers ce nom d'Elsa, cette femme, ce sacrilège à toutes les religions, ce trésor caressé, évaporé, adulé. L'amour fou, entre extase et désespoir, donne sens à tout, aux mots musulmans qui m'échappent, aux prisons de chansons, aux philosophes incompris, aux rois déchus. Le voyage, dans l'inattendu des langages nombreux, dans la quête du mot de l'amour, ce je t'aime qui dit tout et qui ne dit rien, donne au désabusé la nostalgie ou l'espoir d'un temps où tout dépend d'une femme, d'une Elsa rêvée, entrevue, échappée, peut-être morte. | |
18 septembre 2011 : Antonin Artaud, Suppôts et Suppliciations (posté le 19/09/2011 à 19:57) |
Ne sont-ce que les délires paranoïaques d'un fou à lier ? Antonin Artaud, persuadé dans ses lettres d'être une sorte de dieu qu'on empêche de vivre en l'ensorcelant, ressasse un cri haluciné où se mêlent métaphysique et bassesse du corps blessé, scatologie et mystique, incantations dans une langue imaginaire et pseudo-discours philosophiques. Ce cri, ce vomissement de mots, par sa violence, par son indécence, par sa folie même, ne peut que frapper (au sens physique du terme, car tout, dans Artaud, est physique, corps affirmé, esprit nié) le lecteur qui voit le monde de sens dans lequel il se croit vasciller avec une telle permanence, avec une telle force de parole, qu'il finit par se demander, sachant pourtant qu'Artaud est fou, s'il n'a pas, à quelque part, raison. Vertige. Quel est ce quelque part ? Quelle est cette raison au coeur du délire ? Les mots d'Artaud échappent sans cesse, car sa pensée s'échappe à elle-même, et se confronter à la folie pure (et Dieu sait si Artaud se présente comme un pur au milieu des ignominies) ne peut pas ne pas ébranler le lecteur qui, par hasard ou par nécessité, lit, en guise de négatif et au même moment, la philosophie de Descartes. | |
18 août 2011 : Dante, La divine comédie (posté le 20/08/2011 à 16:43) |
Que peut encore dire ce vieux texte, sommet d'une culture qui meurt ? On suit un voyage mystique, chargé de visions que l'on souhaiterait, nous qui sommes passés par le cinéma d'horreur et la modernité noire, plus "dantesques". Les supplices sont décrits pour faire réellement peur. On en sourit. La montée vers Dieu est encore plus insaisissable que la descente aux enfers. Dante y croise plein de gens qui nous sont inconnus et qui incarnent les vertus d'un monde passé. Il s'approche, émerveillé, d'une lumière divine qui pour nous est pâlissante. Bref, le temps nous éloigne de ce qui, parait-il, fut un chef-d'oeuvre, et l'on est déçu de ne plus pouvoir en saisir la grandeur. | |
11 juillet 2011 : Edouard Glissant, Pays rêvé, pays réel, suivi de Fastes, et de Les Grands Chaos (posté le 11/07/2011 à 11:01) |
Exotisme des lieux et exotisme des mots, qui surgissent d'un chaos tropical et se combinent pour dire un pays au loin de tout. La langue de Glissant naît de ce monde d'îles luxuriantes et mystérieuses qui est le sien. Nous sommes, montagnards cartésiens, surpris. Les espèces de plantes, d'animaux, de phrases qui frappent nos oreilles sont comme une musique sans repères, mélodie inchantable et parfois touchante, à réécouter pour mettre le pied dans un univers inconnu, à relire pour ne pas être, comme après ce survol trop rapide, balotté entre des sons au timbre d'ailleurs et un ici qui se refuse à quitter son douillet langage sédentaire. | |
29 juin 2011 : Nicolas Bouvier, le dehors et le dedans (posté le 29/06/2011 à 15:43) |
Limpidité d'une poésie simple, âmes des lieux traversés, impressions en couleur d'une vie errante, puis retour sur soi et chez soi, pensée de ce que l'on aime et de ce que l'on quitte. La poésie de Nicolas Bouvier photographie des instants qui deviennent éternité. Les sens y pêchent de quoi dire, une voix et une clarinette de sang, une nuit à la cuisine, un saxophone, une pomme volée. J'aime la poésie simple, juste quelques minutes d'esquisses pour bredouiller les temps forts d'une vie, juste quelques petits coins perdus pour dire l'immensité du monde, juste des mots pour dire tout. | |
29 juin 2011 : Jean Genet, Le condamné à mort et autres poèmes, suivi de Le funambule (posté le 29/06/2011 à 13:10) |
Etrange mélange de classique et de moderne, versification habituelle sur des mots violents, sur des vulgarités sublimées. Jean Genet viole la poésie (je n'ose pas écrire qu'il l'encule) et il la caresse. Tout est sexe, sexe d'homme bien sûr, amour homosexuel, tout est mort, condamnation à mort pour le funambule, mi-dieu mi-homme, créature de fantasmes et de désirs. Le sexe et la mort, thèmes rabattus? Certes, mais ici, leur entremêlement décontenance, le sacré intouchable est sans cesse profané, et il n'en devient que plus sacré. Mystère encore et toujours de la poésie. L'essentiel échappe. Sentiment mitigé. Lire est tellement plus superficiel qu'écrire. | |
14 juin 2011 : Gérard de Nerval, Les Chimères, La Bohème galante, Petits châteaux de Bohème (posté le 14/06/2011 à 14:49) |
Recueil foutoir où l'on rencontre les soupirs de saintes et des cris de fées, le récit d'un jadis dilettante, une étude sur Ronsard et la poésie médiévale, une piécette à l'italienne, des odelettes bucoliques et des sonnets mystiques. Comme un papillon, on picore, on savoure, on laisse de côté ce qui échappe, les allusions obscures à la mythologie, les symboles mystérieux, les relents de folie. D'ailleurs, la sent-on, cette folie qui tuera Nerval? Pas assez. Tout cela reste, à l'exception de ces bizarres Chimères, très romantique sauce Victor Hugo sans le souffle. Retenons donc le soleil noir de la mélancolie, le Christ déçu aux oliviers et le charme d'un mélange détonnant d'ancien et de nouveau. | |
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