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20 octobre 2014 : Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne, 1680-1715 (posté le 20/10/2014 à 11:41)

"Crise de la conscience européenne" : ce livre pourrait parler d'aujourd'hui. Il n'en parle qu'à travers un passé sur lequel on s'arrête rarement, la transition entre les classiques et les lumières, transition foisonnante de nouveautés et d'archaïsmes, riche en débats passionnés, en controverses essentielles, en inventions qui ne se savent pas révolutionnaires. Renaissance de la Renaissance qui s'était assoupie, loupiote qui deviendra soleil, tout bouge entre 1680 et 1715. Les hommes bougent: ils voyagent, commercent et se rencontrent. Les pensées bougent: elles se mettent à douter des Anciens, des dogmes, même de Dieu lui-même. Tout, pense-t-on, doit être saisi par la raison, adulte enfin, rejetant l'autorité des écritures et des traditions. Tout doit se penser selon la nature. D'ailleurs, Dieu et la Nature, n'est-ce pas bonnet blanc et blanc bonnet?, se demande un Juif hollandais qui révolutionne la philosophie, l'ignoble ou le merveilleux Spinoza. Pensons à partir de nos sens, suggère un autre philosophe, Locke, qui fait le lien décisif entre raison et sensibilité, qui donne de la chair à la spéculation métaphysique, qu'il assassine en catimini. Tout est prêt pour le grand bouleversement, malgré Louis XIV qui règne comme si le monde était immobile. Sommes-nous dans un même élan? Foisonnons-nous comme en ces temps lointains dont nous sommes issus? Sans doute, mais comme jadis, tout est si mouvementé dans notre époque que nul ne sait ce qu'elle nous prépare pour la suite. Tâchons de vivre encore un peu pour voir ce que ça va donner. 

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22 septembre 2014 : Frédéric Rousseau, La guerre censurée, Une histoire des combattants européens de 14-18 (posté le 22/09/2014 à 20:52)

Comment ont-ils tenu? La question est centrale : quatre ans de boucherie, des morts par millions, et jour après jour, ça continue. Cela semble absurde. Première réponse évoquée : le patriotisme. Mais une notion aussi abstraite que celle de patrie ne suffit pas pour affronter la mort au quotidien. Il faut autre chose. Les témoignages recueillis dans ce livre écornent le mythe. Si les hommes ont tenu, s'ils ont accepté de faire la guerre si longtemps, c'est d'abord parce qu'on les y forçait. Celui qui hésitait était un homme mort : procès expéditif ou exécution sommaire, voilà son sort. Mais la coercition ne suffisait pas pour tenir. La dépression, la folie et le désespoir rôdaient dans les corps des camarades tués. Si on continuait le combat, c'était aussi pour eux, pour que leur sacrifice n'ait pas servi à rien. Mais les nobles sentiments flanchaient eux aussi. Pour continuer quand même à affronter le front, il restait deux drogues, l'alcool et les putes. Loin de l'héroïsme traditionnel, ce livre montre que l'ensemble des armées européennes abusaient de mauvais alcool pour se donner un semblant de courage. Il montre aussi que les hommes, que leurs chefs n'avaient pas pu réduire au rang de bêtes de somme, devait satisfaire leurs pulsions. Partout pullulèrent les bordels de campagne, les files d'attentes, l'expédition de la chose, la syphilis. Bref, si les hommes ont tenu, c'est parce qu'ils étaient des hommes, avec tous les hauts et les bas que cela implique. La guerre les a transformés, les a détruits, les a marqués à vie, mais elle ne les a pas déshumanisés. Faut-il s'en réjouir? 

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28 juillet 2014 : Ernst Nolte, La guerre civile européenne, National-socialisme et bolchévisme 1917-1945 (posté le 28/07/2014 à 19:37)

Ce livre avait suscité, à sa sortie, une querelle, dont il semble, depuis, sorti vainqueur. Que veut montrer Nolte? Non seulement qu'il existe un lien structurel entre le communisme et le nazisme, ce que l'on avait bien vu à travers la notion de totalitarisme, mais surtout que ce lien structurel s'explique par une histoire commune, par des interactions, par la fascination que les deux systèmes ont exercée l'un sur l'autre, par une répulsion qui ne peut s'empêcher de prendre l'autre pour modèle. Or c'est bien le communisme soviétique qui est arrivé le premier au pouvoir et qui le premier a procédé à la mise en place d'une société de la terreur basée sur l'élimination des indésirables et sur l'endoctrinement des masses. Hitler ne fut-il donc qu'un opposant et/ou un imitateur de Staline? Le livre montre que c'est plus subtil que cela. Certes, l'antibolchévisme est l'un des moteurs les plus puissants d'Hitler, avec l'antisémitisme, qu'il amalgame souvent avec lui, mais cela ne l'empêche pas de prendre pour modèle et parfois de dépasser la terreur de Staline, qui lui-même, à d'autres moments, s'inspire d'Hitler. La confrontation entre deux visions révolutionnaires du monde, l'une sociale, l'autre nationale, se fait dans la complexité, selon un processus historique que ce livre retrace petit à petit, sans prendre parti. Ce que finalement on peut en retenir? Que l'histoire est toujours plus intriquée, plus entremêlée, plus compliquée qu'elle n'en a l'air, et que chercher qui de Hitler ou de Staline fut le pire, c'est oublier que l'un sans l'autre, ils n'auraient rien été. 

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19 juillet 2014 : Romain Rolland, Au-dessus de la mêlée (posté le 19/07/2014 à 13:45)

Le cri dans le désert de Romain Rolland, il y a cent ans, nous paraît aujourd'hui assez banal. Il y prône l'humanisation de la guerre, le respect de l'ennemi, la réconciliation, la préparation à une paix viable, bref tout ce que notre époque pacifiste essaie de défendre. En 1914 pourtant, cette distance prise avec le fanatisme guerrier surprend. Elle choque même. On accuse Romain Rolland, qui refuse de rompre avec ses amis allemand sous prétexte de guerre, de traitrise. On lui crache à la figure. Mais il se défend et il accuse,  se concentrant surtout sur ces homologues, les intellectuels, les penseurs, les philosophes, qui se sont jetés sans réfléchir dans le combat national, reniant ainsi l'humanisme qu'ils avaient toujours professé. Romain Rolland s'affirme, au temps où cela était devenu impossible, européen. Il souffre de voir son continent (faut-il dire sa patrie?) se suicider. Il cherche à éviter l'effondrement total, sans succès, du moins pour les trente ans qui vont suivre. Il n'est pourtant pas seul. Il cite, pour s'en convaincre, d'autres insoumis, d'autres résistants. Il n'en demeure pas moins qu'on va continuer - et c'est là le mystère le plus terrible de la Première Guerre mondiale - de s'entretuer pour rien pendant quatre ans. 

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22 mars 2014 : Pierre Rosanvallon, La société des égaux (posté le 22/03/2014 à 20:28)

Lire l'histoire de l'égalité pour la refonder à l'heure de l'individu ne peut qu'aider la société à se ressouder. Quand apparaît l'idée d'égalité? Au moment où apparait aussi le suffrage universel, l'idée que la voix de chacun a le même poids, malgré les différences de fortune ou de culture, qu'un homme a la même valeur qu'un autre homme, que tous les hommes ont le même droit à la liberté. Cette égalité n'a pas - ou ne devrait pas avoir - pour corollaire l'homogénéité, la mise à l'écart de ceux à qui l'on refuse le statut d'égal, la sélection de la caste qui en est digne. L'égalité, contrairement à ce que l'on pourrait penser, suppose la diversité, l'incompatibilité, le conflit des genres, des classes et des individus. Son histoire est celle de la conscience qu'une société a d'elle-même. Plus la société est solidaire, plus elle est égale et plus elle est forte. Notre monde, sans doute, souffre d'un effritement de l'identité qui se perd dans le recloisement, le réenclassement, la constitution de nouveau ghettos. On semble penser que l'égalité est la négation de la liberté. Ce n'est que quand ces deux valeurs seront repensées ensemble que l'on respirera mieux. Le grand mérite de Rosanvallon, c'est de rappeler cela : les hommes ne peuvent être égaux que s'ils sont libres (et vice-versa). 

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16 janvier 2014 : Anne Philipona Romanens et Jean-Pierre Papaux, Chantons, dansons, bénichonnons hier et aujourd'hui (posté le 16/01/2014 à 19:11)

Ce livre richement illustré se déguste comme un menu de bénichon, l'eau (de vie de poire à botzi) à la bouche, en respirant avec délices le fumet du jambon de la borne et de la soupe aux choux et en croquant à pleines dents cuquettes, bricelets et tartines de moutarde de bénichon sur de la cuchaule légèrement safranée. La bénichon, c'est d'abord une fête de la campagne, de la paysannerie, des travaux qui se terminent, des familles qui se retrouvent, des enfants qui se balancent, des ménagères qui poutzent et des jeunes gens qui fréquentent. Cette fête a ses débordements, bien sûr, et les hypocrites autorités politiques et religieuses sont parfois gênées aux entournures : le tango, comme danse, quand même, c'est un peu trop sensuel, non? et la danse d'ailleurs, ça pervertit la jeunesse, non? Que faire? Interdire? Envoyer la police déloger les danseurs? On essaie et ça donne, à Estavayer en 1889, la bénichon des gendarmes : à la place des valses et des polkas, la baston! Les bonnes vieilles traditions ne sont pas mortes. La bénichon se conjugue au pluriel. Elle se fête à peu près n'importe quand, de carnaval (à Broc) à la Saint-Sylvestre dans le village éponyme. Elle varie ses menus (qui ne sont jamais menus). Elle monte ses ponts de danse ou ses carrousels, elle met en branle ses cortèges ou ses tournées du char, elle se balade en tracteur ou en charrette. Mais ce pluriel a ses limites. Tout le monde vous le dira : la vraie bénichon, c'est la mienne, celle de mon village, celle de ma famille, tout le reste n'est que garniture. En fermant le livre, tout en me disant que c'est bientôt la bénichon, je ne peux que regretter que celle-ci n'ait plus lieu dans l'endroit où seule elle a vraiment du sens : aux Arbognes. 

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26 décembre 2013 : Hermann Rauschning, Hitler m'a dit (posté le 26/12/2013 à 10:14)

"Encore un portrait d'Hitler", aurait-on envie de soupirer, à première vue. Cependant, ce portrait-là est peut-être le premier. Nous sommes en 1939. Les horreurs du nazisme ne font que commencer. Le petit caporal autrichien fait sourire plus qu'il ne fait peur. Le témoignage de Rauschning, nazi repenti à temps, construit un personnage complexe à partir d'entrevues toujours plus délirantes avec un homme enfermé dans une vision mégalomane, maladive et haineuse de l'univers. Hitler y parle. Il s'y contredit sans cesse. Il s'écoute parler comme ceux qu'il fascinent l'écoutent. Il se prend - et on le prend - pour un prophète. L'ambition d'Hitler, mondiale, semble démesurée, ses connaissances, notamment en économie, nulles, sa morale inexistante. Pourtant, il se croit - et on le croit - génial, comme si en sa présence, tout sens critique disparaissait, comme s'il jetait un sort à ses interlocuteurs. Hitler, à l'évidence (mais cette évidence a posteriori est facile…), était un homme malade. Ce qui demeure un mystère, c'est que sa maladie fût à ce point contagieuse. 

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29 septembre 2013 : Jean-Christophe Victor, Le dessous des cartes, Itinéraire géopolique (posté le 29/09/2013 à 15:37)

Quel est l'état du monde en 2013? Vaste question, que ce livre aborde par de nombreux points de vue. Tout part des cartes, de ce qu'elles révèlent, de ce qu'elles cachent, de ce qu'elles enseignent. Le monde y apparaît comme de plus en plus interdépendant. Certes, le leader reste américain mais le basculement vers l'Asie a commencé. Jusqu'où ira-t-il? Autre évidence : le problème majeur de notre planète, c'est son réchauffement, c'est l'ouverture de nouveaux espaces stratégiques comme le Pôle Nord qui fond, et la possibilité de nouveaux conflit, pour l'eau, pour le pétrole, pour l'énergie. Autre constatation : les inégalités entre le Nord, le Sud et les pays émergents provoquent des crises, des déplacements de populations, des flux difficiles à contrôler. Il y a bien sûr aussi l'économie, qui, en se déroulant au niveau mondial, rend tout le monde dépendant de tout le monde. Il y a encore les religions, qui tantôt s'effondrent, tantôt se renforcent, tantôt se braquent et se fanatisent. Ajoutons Internet pour lier la sauce, et l'on ne peut que constater l'immense complexité d'une planète qui vit au quotidien la théorie de l'effet papillon. Le monde bascule, mais dans quelle direction? Dernière constatation du bouquin : le monde, chiffres à l'appui, va mieux qu'avant. L'apocalypse n'est sans doute pas pour demain. Pour après-demain? 

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10 août 2013 : Philippe Burrin, Hitler et les Juifs, Genèse d'un génocide (posté le 10/08/2013 à 19:45)

Comment est né le génocide des Juifs? La question effraie, mais il est nécessaire d'y répondre. S'agit-il d'un plan arrêté depuis longtemps dans l'esprit d'Hitler et de ses complices? S'agit-il au contraire d'une réaction à la situation de guerre? Ce livre penche pour la deuxième explication, mais il rappelle que l'extermination n'aurait pas eu lieu sans l'obsession d'un homme, Adolf Hitler, qui voyait dans les Juifs les responsables de la défaite de 1918 et une sous-race de parasites dont le seul but était l'anéantissement de l'Allemagne. Le génocide, Hitler l'a rapidement prophétisé. Il ne l'a ordonné que plus tard, au moment où l'opération Barbarossa commençait à s'embourber, au début de l'automne 1941. Avant, il était confiant et se souciait un peu moins des Juifs. Dès que la défaite s'est avéré possible, il a radicalisé les processus déjà en cours, pour se venger à l'avance, pour que le sang allemand qui coulerait soit compensé par du sang juif. Alors, tout s'est emballé, et l'horreur eut lieu. Hitler en est le responsable, mais tous ceux qui suivirent aveuglément ce tyran et qui partagèrent jusque dans le massacre son obsession ont fait de la folie exterminatrice d'un homme une réalité. Il semble pourtant qu'il manque quelque chose dans l'explication, que tuer des millions d'être humains devrait être impossible. Pourtant, ça l'est. 

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19 juillet 2013 : Pierre-André Taguieff, Court traité de complotologie, suivi de Le "complot judéo-maçonnique" : fabrication d'un mythe apocalyptique moderne (posté le 19/07/2013 à 12:50)

Qui tire les ficelles? A qui profite le crime? Que nous cache-t-on derrière la vérité officielle? Tout événement qui désarçonne (la Révolution française, les guerres mondiales, l'assassinat de Kennedy, le 11 septembre) suscite des théories du complot. Si cela a eu lieu, c'est que c'était prévu dans le plan maléfique d'un groupe secret et puissant qui possède le pouvoir réel, alors que les dirigeants que l'on voit s'agiter ne sont que des marionnettes. La théorie du complot, explique Taguieff, n'est pas d'abord un délire mais une rationalisation. Tout doit pouvoir s'expliquer simplement. Il n'y a pas de place pour le hasard ou pour la fatalité. Tout est voulu par des hommes. Rien n'arrive sans que quelqu'un ne l'ait planifié. Bien sûr, la raison poussée à cette extrémité devient folle, mais lutter contre elle est très difficile, parce que la théorie du complot, contrairement à l'analyse objective des faits, a réponse à tout. La reconstitution de l'histoire du "complot judéo-maçonnique" est un exemple de cette pensée malade qui fait froid dans le dos. On lie deux groupes sans lien, et on les rend responsable de tous les malheurs. Les maçons ont le défaut de laisser planer une atmosphère de secret. C'est donc qu'ils ont quelque chose à cacher. Les Juifs les manipulent, veulent détruire le christianisme, puis l'islam (les imams d'aujourd'hui pensent comme les papes du dix-neuvième siècle...), donc il faut lutter contre eux, comme le fera Hitler, y ajoutant un "bolchévico" qui n'empêchera pas Staline de croire au même complot. Penser qu'un groupe secret et forcément mauvais, satanique même, domine le monde, c'est penser aussi qu'il faut détruire ce groupe fantasmé, dont peuvent faire partie, puisque qu'on ne sait jamais exactement qui est derrière le complot, tous ceux à qui l'on colle l'étiquette d'ennemi. Bref, ce livre montre que la folle pensée du complot, qui pullule sur Internet dès qu'on pense dire la "vérité" sur quoi que ce soit, n'est pas que le délire farfelu de quelques illuminés, mais qu'elle peut créer des hallucinations collectives porteuses de toutes les dérives possibles. 

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