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          | Roman

17 août 2013 : Boris Pasternak, Le docteur Jivago (posté le 17/08/2013 à 21:10)

L'ouragan de l'Histoire et l'ouragan de l'Amour se heurtent, et heurtent deux êtres, un homme, une femme, et ce qui les entoure. Youri croise Lara, par hasard, par destin, mais se croit une autre vie, une autre famille. Elle aussi. Puis viennent la guerre, la Révolution, la guerre civile, la barbarie rouge et blanche. Ils se croisent à nouveau, lui médecin, elle infirmière, s'éloignent à nouveau, va-et-viens qui ne cessera pas, car l'histoire, dans ce roman d'amour, joue le rôle de la rivale, plus que Tonia, l'épouse, et que Strelnikov, le mari infidèle qui épouse la Révolution. Youri doit errer aux côtés de l'armée rouge, en Sibérie. Il s'échappe, traverse à pied une nature que le roman chante et que l'homme piétine, retrouve Lara. Ils se cachent, au milieu de rien, mais on est en Union soviétique, et Jivago a des idées trop peu ordinaires, un langage trop libre, des origines bourgeoise. Leur bonheur doit cesser. Elle s'en va. Pour toujours. Il sombre. Leur amour avait la force de l'évidence. Ils ne pouvaient lui survivre. L'Histoire a-t-elle gagné la partie? Quand elle revient enfin, il est mort. 

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6 juin 2013 : Jean Echenoz, 14 (posté le 06/06/2013 à 08:36)

La Grande Guerre, dans sa petitesse, ses hommes qui montent au front (comme la honte monte au front), qui y sont tués, mutilés, gazés (comme en Syrie aujourd'hui, dans le silence assourdissant d'un monde toujours honteux), fusillés pour promenade ou désertion. Des hommes ordinaires sont emportés par le flot, pour de vagues raisons de nation et de prestige. Ils vivent l'enfer, meurent, reviennent autres ou détruits. Tout cela est dit sans excès ni rage, exposé dans ce qui ressemble sans doute à sa réalité. On ne s'attarde pas sur les horreurs. A quoi bon? On sait déjà tout ça et on recommence quand même. La guerre, dans ce trop court roman, n'est qu'effleurée, comme elle n'a qu'effleuré les combattants partis dès 1914, éphémères pions d'une partie d'échec qui porta trop bien son nom. 

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20 mai 2013 : San-Antonio, Passez-moi la Joconde (posté le 20/05/2013 à 17:39)

San-Antonio en vacances, ça fait pondre des cadavres et ça appond des postières ou des secrétaires peu farouches. Le bon air de la montagne et la crasse des cervelles campagnardes accouchent d'une bande de faux-monnayeurs bien entendu prêts à tout pour leurs louches combines. Bref, ça bosse dur, ça cogne, ça explose, ça canarde et ça emballe des souris fort gentilles. Frédéric Dard commence à se lâcher : une petite insulte au lecteur par là, un mauvais calembour par ci, une réflexion à la con dans un coin, on commence à percevoir la virtuosité du conteur à gaz qui embraye un camion, ne parvient pas à le faire exploser, mène le commissaire au nez fin là où il ne devrait pas (se) fourrer, et découvre le poteau rose contre lequel se sont cognés tous ces des-tracteurs... 

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16 mai 2013 : François Rabelais, Le Quart Livre (posté le 16/05/2013 à 19:09)

Les aventures se poursuivent, sur un ton souvent moins grivois, d'îles bizarrement peuplées en tempêtes à foutre la trouille. Panurge, de peur, chie dans son froc, ce qui donne l'occasion à quelques rabelaiseries hilarantes. Frère Jean se moque. Pantagruel fait le sage. Des andouilles se battent à coup de moutarde, et se rendent sous les assauts d'un cheval de Troie bourré de marmitons. Des papimanes révèrent le Dieu terrestre, le très saint pape, qui ne dit rien que de très bon. D'autres personnages boivent, mangent et se battent, et les compagnons d'Ulysse revisités navigue un peu à vau-l'eau, parce que rien n'est terminé, Panurge restant célibataire, les autres errant en mer, pour rien, semble-t-il. 

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5 avril 2013 : San-Antonio, Descendez-le à la prochaine (posté le 05/04/2013 à 13:00)

San-Antonio s'agace de jouer la marionnette des espions soviétiques et des ex-nazis à la déroute dans cette fin des années 40 durant laquelle s'esquisse le scénario "guerre froide". Les Ruskofs sont encore des amis, mais de drôles d'amis, qui manipulent, qui inventent de faux cadavres avec des vrais, qui sèment sur la route encombrée de viande froide de San-Antonio des greluches à soulever qui sont toutes plus ou moins dans le coup. La mort est, comme toujours, frôlée, mais voilà, encore balbutiant, Bérurier qui sauve le brave commissaire in extremis. Bref, tous les ingrédiants du roman d'espionnage classique, tartinés encore timidement de confidure à la Dard.

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22 mars 2013 : Gustave Flaubert, L'Education sentimentale (posté le 22/03/2013 à 17:09)

Roman d'apprentissage à l'envers, épopée de la désillusion et de l'occasion manquée, L'Education sentimentale recycle tous les clichés du dix-neuvième : le jeune homme qui monte à Paris pour réussir sa vie par les dames, par la politique et par les affaires, l'amour romantique et l'aventure galante, les barricades et les cafés où ça palabre. Pourtant, tout y est regardé avec ce sourire moqueur de Flaubert, cette distance ironique, cette gentille flagornerie d'un auteur qui désenchante ses personnages. Frédéric vit à la fois un grand amour platonique partagé mais où manque le dernier pas, celui que Mme Arnoux refuse obstinément, bêtement, par conformisme, un amour charnel et charmant avec une fille facile, trop facile, et un amour intéressé avec une grande dame, qu'il épouse, mais qui ne lui procure pas la fortune attendue. Il va d'échec en échec, se brouille avec ses amis pour des questions d'argent, mais il continue sa marche vers la désillusion, naïf mais cynique avec ses femmes, qui, une à une, l'abandonnent. Un blanc, puis des années plus tard, un retour de flamme inutile et des souvenirs du temps où l'on se croyait destiné à des grandes choses... Lire Flaubert, c'est sans cesse passer du dédain souriant pour des êtres empétrés dans leurs aventures sans queue ni tête à une bizarre compassion pour ces hommes communs qui renoncent à leurs rêves de gloire, pour devenir, comme nous, juste des gens.

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12 février 2013 : José Saramago, Relevé de terre (posté le 12/02/2013 à 16:29)

Cette épopée de misère, ce chant du travail inhumain dans le latifundium, ce cri de révolte se lit la rage au coeur, la larme à l'estomac et, parfois - car l'espoir fait vivre, et la révolution va réveiller la terre - le sourire aux lèvres. Les générations de bosseurs pauvres se succèdent, accablées mais jamais résignées, assassinées par des terres sèches et des riches plus secs encore. Les femmes enfantent dans la douleur. Les hommes piochent le sol trop dur. Les enfants, parfois, grandissent, s'aiment et se marient, redonnent vie à des misérables, qui recommenceront le cycle fatal de la vie (mais ces vies-là furent-elles vraiment des vies?). l'Etat, l'Eglise et les grands propriétaires méprisent ces chiens humains dont l'aboiement se transforme en morsure. Ils laissent à la garde le soin de les calmer, à coup de pieds ou de fusils. Ils ne comprennent pas tant d'ingratitude. Le narrateur de ce chef-d'oeuvre laisse tout le monde dire son mot, son histoire, vraie ou fausse, de chasse ou de prison, il déploie un immense chapelet de mots accrochés à la terre, que le père Agamedes, éternelle bonne conscience soumise, ne comprend pas, tant cette langue virtuose et aimante parvient à faire chanter ces hommes sans écriture, ces oubliés à qui il donne enfin une voix et un écho vibrant dans le coeur d'un lecteur touché à vif.  

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7 janvier 2013 : Emmanuelle Pireyre, Féerie générale (posté le 07/01/2013 à 16:41)

S'agit-il d'un, de plusieurs contes de fées? Les "il était une fois" chatouillent notre réalité, regardée, triturée, analysée avec justesse et ironie. Les personnages très "d'aujourd'hui", comme on aurait dit "d'époque" pour un roman historique, vivent néanmoins dans un monde mystérieux, où les enfants se pasionnent pour la finance internationale, où le story telling rend dépressif, où l'on se demande comment bien se faire embrasser sans blesser celui qui ne met pas la langue, où des forums internet se créent pour  rester halal en toute circonstance ou ne pas avoir honte de ses toilettes sèches. Le texte gambade de récits saugrenus en analyses presque sérieuses sur notre temps désenchanté, en passant par des chats, des présentations PowerPoint et des photos de l'homme qui dit toujours "'c'est joyeux". Bref, ce roman - on peine à lui trouver un autre nom - a comme intérêt principal d'être un portrait au plus près du monde bizarre dans lequel nous vivons, un miroir à peine déformant, qui révèle ce que nos habitudes ont de surprenant, une description de notre société qui lui ressemble, en refusant de se prendre au sérieux et en se dégageant de toute pensée politique. Féerie générale, ce sont les Mythologie de Barthes d'aujourd'hui, sans prétention révolutionnaire et sans sérieux.

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30 décembre 2012 : Christine Angot, Une semaine de vacances (posté le 30/12/2012 à 22:32)

Au fond, les passages les plus terribles ne sont pas ceux qu'on croirait. Ils se trouvent là où l'homme (le père? sans doute pas, même s'il en a le comportement) engueule celle qu'il vient de souiller cent fois parce qu'une bouteille de lait est restée sur la table ou qu'il la reprend sur sa prononciation du w. Ce qui choque, c'est la parfaite inconscience du personnage par rapport à ses actes, sa suffisance, sa certitude d'accomplir une oeuvre éducative. Sinon, le catalogue des perversités est bien classique, porno à deux balles, histoire de rendre le type encore plus méprisable, et la fille encore plus victime. Bien sûr, la presque absence de sentiments, ou le dévoiement de ceux-ci, donne froid dans le dos, mais on est bien loin du malaise de Lolita, où, parce que rien n'est dit, l'imagination se perd en glauques conjectures. A vouloir trop tout montrer, ce livre suscite, finalement, plus d'ennui que de dégoût.

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27 décembre 2012 : Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome (posté le 27/12/2012 à 15:13)

Des vies se perdent et se retrouvent, famille éclatée de retour au pays, cette Corse de prières et de bars à putes, qui appelle et qui rebute. Un vieux sans âge, saint Augustin raté, sans destin sinon l'amour d'une idiote morte en couche, revient sur tout ça, son rien, l'Afrique, la guerre à peine frôlée, les enterrements. Ses descendants meurent aussi, passent de la philosophie à la nuit d'alcool, filles caressées, juste des soeurs incestueuses, comme les parents, chanteur de charme tombeur, idiot de village martyrisé. Tout, bien sûr, tourne au vinaigre. La fête éternelle n'est pas de ce monde. Les amours se distendent jusqu'à ce que la corde pète, et, une nuit d'apocalypse, la mort rôde, la violence éclate, le bar ferme. Saint Augustin a beau inventer la cité de Dieu,il ne ressuscitera pas celle des hommes.

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