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| Roman

21 décembre 2012 : Henning Mankell, La Lionne blanche (posté le 22/12/2012 à 10:22) |
Quand le sombre polar suédois flirte avec l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid en déroute, cela sème des morts innocents sur le passage d'espions soviétiques qui ne savent plus quoi faire. Wallander se laisser toucher par la mort d'une jeune femme bien sous tous rapports, victime nordique d'un complot dont la cible est Nelson Mandela. Un doigt de noir envahi d'esprits, une explosion, quelques sinistres racistes qui voient leur pouvoir s'échapper et qui fomentent une guerre civile, l'enlèvement de l'être le plus cher, un Boer qui se rend compte qu'il est d'abord un Africain, un autre Boer qui mène une double vie, une fusillade dans un no man's land militaire, les cheveux d'un salopard en feu, tous les ingrédients du bon roman policier sont là, et la sauce prend, même si on n'est guère surpris par ce qui arrive. Wallander tombe dans la déprime, sinon ce ne serait pas un roman du Nord. Tout est presque bien qui finit presque bien. Demeure un malaise, toujours. | |
22 septembre 2012 : François Rabelais, Le Tiers-Livre (posté le 22/09/2012 à 12:43) |
Panurge veut se marier, mais il craint d'être cocu. Que faire? Le troisième livre de Rabelais nous balade de devins en augures, de sages en fous, de juges hasardeux en philosophes sceptiques, pour décider du sort du futur marié. Tous s'accordent sur les cornes qui pousseront bientôt, mais Panurge fait mine de ne pas comprendre les messages pourtant clairs de toutes ces Sybilles vulgaires et de tous ces poètes agonisants. Il s'entête, mais ne rencontre pas sa future épouse. Plus que jamais, Rabelais mélange cocasseries et gloses savantes, discours grivois et pédants, érudition et gaudriole, mais tout cela devient un peu répétitif, parce que Panurge ne se décide pas, qu'il attend Dieu sait quoi pour se lancer. Bizarrement, le bouquin se termine sur un traîté de botanique, loin du suspense auquel est trop habitué le lecteur d'aujourd'hui. Lire le passé reste une étrange expérience. | |
3 septembre 2012 : San-Antonio, Des clientes pour la morgue (posté le 03/09/2012 à 19:35) |
La lente montée en puissance de San-Antonio se poursuit, avec un nom nouveau qui apparaît, puis, sur la pointe des pieds, ce qui n'est pas son style pourtant, disparaît. Tout commence donc lors d'une fête en l'honneur de Bérurier. Le San-A-phile a un élan de joie, un peu comme le tintinophile qui voit naître, dans Le crabe aux pinces d'or, le capitaine Haddock. Seulement, le fils chéri de Félicie, qui, elle, est présente dès le tout début de la saga, se carapate vite, suit une femme qui n'en est pas une, en rencontre d'autres qui tombent sous son charme, assiste à des événements bizarres auxquels il ne pige rien, se fait bien évidemment enlever par un méchant Allemand qui veut s'emparer d'une invention révolutionnaire, est à deux doigts de mourir noyé dans des fûts l'essence, se libère in extremis, comme toujours, retrouve une nana qui n'est traîtresse que jusqu'à la mort - violente, faut-il le préciser? - de son jules, qu'elle oublie instantanément dans les bras du beau commissaire, et là, le San-A-phile succombe à la tentation du jeu de mot facile : comme il sert... Béru passe une deuxième fois, en coup de vent, toujours pas son style... On l'espère bientôt plus présent, ce qui serait pour le coup tout à fait son style. | |
23 août 2012 : François Rabelais, Gargantua (posté le 23/08/2012 à 20:40) |
Cela s'étoffe, et cela se complique, entre gauloiseries de plus en plus grosses et réflexions humanistes ambitieuses. Gargantua est un sage humaniste qui se torche le cul d'un oison. Frère Jean défend son abbaye en buvant à foison, en tuant à faire gicler le sang, en inventant un nouveau genre de monastère, plus sain sans être plus saint. Quelle unité à tout cela? Peut-être se trouve-t-elle dans la langue rabelaisienne, qui se remplit la panse de bons mots, de listes de jeux interminables, de citations latines dévergondées et de proverbe embabouinés. Cette langue nous est étrange, rebibes d'un jadis évanoui, fête d'un vocabulaire riche, grassouillet, bedonnant et sautillant, comme le fin géant Gargantua, léger dans sa lourdeur. | |
14 août 2012 : San-Antonio, Des dragées sans baptême (posté le 14/08/2012 à 16:05) |
Toujours pas de Béru, mais seul, le fils chéri de Félicie ne se débrouille pas trop mal. Il échappe au machiavélisme d'un bandit rital, tue un pas rigolo en lui mordant la pomme d'Adam, se bat au plafond de la gare Saint-Lazarre, ou encore, pour compléter la panoplie du parfait San-Antonio, emballe deux gonzesses plus que bien roulées, une gentille et une méchante, car la frontière entre les bons et les truands s'estompe quand la bagatelle s'en mêle et s'emmêle. Ce qui frappe, dans ce joli roman pas encore virtuose, plus que les bons et les truands, ce sont les brutes, tortureurs torturés, flingueurs flingués, boxeurs boxés, qui parsèment de sang plus que de bon jus à pépère les pages sans pauses d'un roman rapide et délicieux. | |
6 août 2012 : François Rabelais, Pantagruel (posté le 06/08/2012 à 14:17) |
Plongée raffraichissante dans le bon temps de jadis où les savants se dévergondaient dans de salaces et grasses cabrioles. Rabelais parle certes d'éducation humaniste et de recours aux anciens, mais l'essentiel du bouquin s'amuse à inventer des mots goûteux comme les repas - comment les qualifier autrement? - pantagruéliques de personnages prêts à tout pour que le public rigole. Pour que la rigolade s'affranchisse de la gêne des pudiques modernes, Rabelais y ajoute des situations rocambolesques, où sont mises en valeurs la sagesse et la démesure de Pantagruel, qui provoque des tremblements de terre en pétant et des sources thermales grâce à sa chaude-pisse, et de Panurge, qui empêtre de chiens en chaleur une dame récalcitrante en la saupoudrant de bidoche, et qui parle mille langue juste pour dire qu'il a soif. Bref, lire Rabelais, ça ne fait pas du bien qu'à l'esprit. | |
24 juillet 2012 : Elsa Triolet, Le grand jamais (posté le 24/07/2012 à 16:27) |
Les yeux d'Elsa m'ont attiré dans son roman, et sa voix surprend. Un homme meurt, et tout commence pour lui à ce moment-là : célébrité, gloire littéraire, questions sur ce qu'il était vraiment. Sa femme (celle d'Aragon, célèbre, gloire littéraire, intervient souvent pour divaguer sur le temps, l'histoire, l'art) se veut la gardienne de la vérité. Non, son mari ne croyait pas en Dieu, non, il ne prenait pas l'Histoire au sérieux et y voyait un mensonge reposant sur des sables mouvants, non, il n'était pas cet homme réinventé par ceux qui se croient ses admirateurs. On suit alors la détresse d'une jeune veuve à qui on vole un homme qu'elle n'aimait plus mais à qui elle se raccroche, on la voit se jeter dans les bras d'un sculpteur qui lui non plus ne comprend pas qui était son mari, dont il doit faire le monument. On la voit errer dans un monde instable, fuyant, faux, apparaissant par miracle au grand jour, comme la sculpture, puis retombant dans une nuit d'insomnie. Roman d'amour? Presque. Quelque chose échappe, semble naître, puis retombe, redevenu illusion, comme le roman, toujours, est illusion. | |
16 juillet 2012 : Salman Rushdie, Les versets sataniques (posté le 16/07/2012 à 10:08) |
Est-ce l'ambiguïté qui a tant choqué? Est-ce le doute constant qui plane sur ce roman? Où est le bien? Où est le mal? L'ange est-il démon? Est-ce le contraire? Qu'est-ce qui est réel? Qu'est-ce qui est cinéma? De multiples récits s'entremêlent et se rencontrent, à travers Gibreel et Saladin, hommes tombés du ciel qui se prennent pour des anges ou des démons, qui se transforment (ou pas...), puis redeviennent humains, trop humains. Les putains de La Mecque singent les femmes du prophète pour un poète. Une femme-papillon entraîne un village à suite pour une marche illusoire. Une alpiniste aux pieds plats rencontre ses fantômes au sommet de l'Everest. Une vieille dame revit son épopée argentine. Un producteur de cinéma bégaie. Un faux meutrier de petites vieilles est arrêté. Tout cela, et tout le reste, oscille entre rêve, réalité et surnaturel, dans une folie où le fantastique religieux se démystifie, où les humains changent sans cesse, où l'Orient et l'Occident se combattent dans l'esprit habité ou défait des personnages. Y a-t-il un sens à ce fatras? La condamnation semble répondre non. Le lecteur, comme l'auteur peut-être, reste dans le doute. | |
22 juin 2012 : Jean-François Haas, Le chemin sauvage (posté le 22/06/2012 à 17:34) |
Tout près d'ici régnaient l'enfance volée et l'enfance violée. Un enfant rêve de jeux de guerre et de romans, mais autour de lui grondent la mort et la méchanceté crasse. Les rires s'estompent devant la grimace d'un grand-père à moustache qui poursuit une fillette, un amour naissant assassiné, un secret trop lourd à porter. Autour du drame se greffent les soupçons crachés sur tout ce qui, dans une campagne arriérée, s'écarte de la norme. Des immigrés italiens construisent un barrage. Le coupable est forcément parmi eux. Un jeune homme fait du gringe à un autre jeune homme. Il est violeur et assassin d'enfant en puissance. Un benêt se promène dans les bois. C'est un meurtrier parfait. L'enfant sait que tout cela n'est que calomnie, mais il demeure impuissant, rejeté, haï. Le drame se déroule sur fond de bidon du lait, de vieux chiens maltraités, de repas de bénichon et de biscuits militaires, de ces détails bien de chez nous qui font que, parce que cet enfant vit dans un monde qui ressemble au mien, je me sens plainement transporté dans son drame. | |
11 mai 2012 : David Herbert Lawrence, L'Amant de Lady Chatterley (posté le 11/05/2012 à 15:48) |
Roman de la nature, de la force vitale et du sexe sans honte, L'Amant de Lady Chatterley est une lecture de printemps, du temps béni de la sève qui remonte. C'est la lutte de l'animal contre la machine, et du spontané contre le convenable. Roman scandaleux? Pour les Sir Clifford, impuissants cloués sur leurs petites vies intellectuelles, sans doute. Mais on ne peut s'empêcher d'être du côté de Mellors, le garde-chasse sensuel, l'homme véritablement viril, et de Conny, la femme qui découvre, dans les passages les plus beaux du livre, le profond plaisir du sexe quand il est tendre. Roman de la liberté et du retour à l'essentiel oublié, ce corps trop souvent corseté par le triste monde des idées noires et de la spiritualité castratrice, L'Amant de Lady Chatterley procure un frisson plus fort que les longues méditations de la philosophie, parce qu'enfin, l'âme et le corps ne sont plus séparés, comme on a si artificiellement essayé si longtemps de nous le faire gober. Les hommes et les femmes sont d'abord (et ne sont que) des corps qui se cherchent, et le seul miracle, c'est quand ils se trouvent. | |
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