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14 octobre 2009 : Jacques de Coulon, Petite philosophie de l'éducation (posté le 14/10/2009 à 18:45)

Il n'y a sans doute rien de bien original dans cette réflexion sur l'éducation, mais il se trouve qu'elle résume à peu de choses près ma propre conception de l'éducation. L'idée d'humanisme exigeant, basé sur l'apprentissage de la langue maternelle et l'acquisition d'une culture qui nous permet de nous construire et tenant compte d'autrui, me semble être la seule défendable en matière d'éducation. Elle s'oppose à la vision utilitariste qui n'a que le mot pédagogique à la mode, "compétences", à la bouche. Le but de l'éducation n'est pas d'abord de permettre aux jeunes d'acquérir des compétences mais d'abord de leur donner des pistes pour qu'ils deviennent des hommes libres, responsables et heureux. Cette vision de l'enseignement va à l'encontre des valeurs de la société d'hyperconsommation dans laquelle nous vivons. Il faut, avec nos élèves, et Dieu sait si c'est difficile, lutter contre le tout tout de suite, et leur apprendre la patience et, à l'instar de Nicolas Sarkozy (les références de Jacques de Coulon sont plus intéressantes...), leur apprendre le travail (comme Sarkozy le fait si bien avec son fils...). Vieilles valeurs ? Oui, les valeurs, si on croit qu'elles existent, sont vieilles par définition, puisqu'elles sont vraies de tout temps. Reste bien à faire correspondre la théorie à la pratique, et là, nous avons du pain sur la planche.

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18 décembre 2007 : Epicure, Lettres, maximes, sentences (posté le 26/12/2008 à 17:03)
Suis-je épicurien ? Sans doute faut-il répondre à la normande, peut-être bien que oui, fort possible que non. Que veut dire être épicurien ? Adhérer à sa physique, à ses explications souvent loufoques parfois étonnamment modernes des phénomènes naturels ? Certes non. Adhérer à son rationalisme, à sa mise à distance des mythes, des dieux, de la mort ? Plus séduisant. L'expérience en tant que base de la pensée, voilà sans doute l'apport crucial de l'épicurisme, la critique de tout discours, de toute autorité non évidente, voilà une attitude qui me convient. Et l'éthique ? Chasser les troubles, se contenter de plaisirs simples, voilà qui est sage. Echo dans mon esprit : trop sage. Certes, l'épicurien ne souffre pas, certes il ne regrette rien et la mort ne change pas grand chose pour lui. Il est si peu vivant. Mon esprit peut adhérer. Le reste se frustre. Parfois la quête d'un plaisir amène plus de mal que de bien. On souffre pour une illusion, on tombe amoureux. Boum. On se brûle les ailes. On rêve (ça n'a rien de divin, ce sont des simulacres, juste de la matière, Epicure a sans doute raison, mais ça ne change rien). On se damne pour atteindre l'inaccessible et on a le sentiment de vivre, de se perdre, mais le sacrifice nous transcende, alors qu'Epicure nous endort. Vivre sans trouble, est-ce le bonheur ? Dénormandisons la réponse : non.
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30 septembre 2007 : Jeanne Hersch, L’étonnement philosophique, une histoire de la philosophie (posté le 26/12/2008 à 12:08)
Il y a longtemps que je cherchais un bouquin comme celui-ci, une vraie intro à la philo, qui donne envie de se plonger dans les grandes pensées, qui s'efforce à en montrer l'évolution en les expliquant le plus clairement possible. Certes, je suis souvent largué, mais faire le saut devient possible, je commence à savoir ce que je fais quand je me lance dans Kant (quand ? le livre n'est pas encore acheté...), dans Aristote (La Métaphysique, ma prochaine lecture ?) ou dans Bergson. Faire de la philosophie donc, à quoi bon ? Question non philosophique s'il en est. Pour celui qui philosophe, la question ne se pose pas, c'est une évidence. On pense parce qu'on s'étonne, on s'étonne d'être. Je pense donc je suis ? Je pense parce que je suis et que je ne sais pas ce que ça veut dire, "je suis"? Ce que montre très bien Jeanne Hersch, au delà des introductions synthétiques et claires de pensées complexes, c'est qu'on pourrait très bien ne pas philosopher, mais voilà, des gars se sont étonnés, ils ont remis en cause les évidences, les trucs qui sont là sans qu'on les remarque, les fondements de nos vies si simples en apparence mais si bizarres quand on se met à y penser. Une fois que la machine est lancée, elle ne s'arrête pas. Arrêter de me casser la tête sur des questions abstraites qui m'empêchent de vivre agréablement mon quotidien ? Impossible. La conscience d'être un humain, mortel, "être-pour-la-mort" (il faut aussi je me lance dans Heidegger), ça étonne, ça angoisse, et voilà, les questions défilent, on ne peut pas se défiler, on tente de mettre de la cohérence, de la raison, et on philosophe, hélas. Il serait tellement plus simple de ne jamais s'étonner de rien. Tellement plus ennuyeux, aussi.
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16 septembre 2007 : Denis Diderot, Pour une morale de l’athéisme, entretien d’un philosophe avec la Maréchale de *** (posté le 26/12/2008 à 12:05)
Petit texte de rien du tout ? On a sans doute perdu la fraîcheur du propos, devenu banal aujourd'hui, alors qu'à l'époque, c'est une bombe, petite mais dévastatrice. Il s'agit pour Diderot non pas de produire un traité d'athéologie à la Onfray, il s'agit, plus malicieusement, de dénoncer des conventions, d'aiguillonner, de déconstruire l'évidence par un badinage qui n'a pas grand chose de convaincant sur le plan philosophique mais qui plaît, qui séduit, car on ne peut pas oublier qu'un dialogue entre une homme et une femme où l'on rappelle sans cesse avec inquiétude que le mari va bientôt se pointer, au XVIIIe siècle en particulier, ça sonne libertin, érotique, transgressif. Il s'agit de provoquer mais sans oublier que tout ça, même si ça convoque les grandes idées, ça reste un jeu où tous les coups sont permis, dans la mesure où on dénonce les convenances mais en faisant mine de s'y soumettre. Ironie socratique ? Bien moins que ça, juste titiller, trouver le bon mot qui déstabilise, rien de plus. Un exemple ? Quel est le plus choquant pour un homme d'Eglise, "pisser dans un vase sacré, ou noircir la réputation d'une femme honnête"? Quel est le plus immoral aux yeux de la société ?
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27 juillet 2007 : Platon, Théétète (posté le 24/12/2008 à 16:22)
Qu'est-ce que la science ? Vaste question que la méthode socratique, longuement expliquée dans ce texte didactique, permet de cerner. Progression par hypothèses, remises en questions, affinements successifs pour aboutir à une définition non définitive, puisque tout se termine par un "je sais que je ne sais pas". Regardons néanmoins où l'accouchement de l'esprit de Théétète nous mène : "si, avec une opinion droite sur un sujet quelconque, on saisit encore ce qui le distingue des autres, on aura la science de l'objet dont on n'avait auparavant que l'opinion". La science est dans la capacité de distinguer, de dire "ceci et cela ne sont pas identiques parce que". Connaître, ce n'est donc pas voir. Première définition éliminée : la science n'est pas la sensation. Connaître, ce n'est pas non plus disséquer. On n'a pas la science d'un objet quand on en énumère toutes les parties et la manière dont elles s'articulent. La science n'est pas la technique. Deuxième définition balayée. La technique, ce n'est que l'opinion vraie. On en arrive donc à la définition presque retenue. Connaître, c'est savoir distinguer. L'exemple pris est parlant, le langage défini d'une manière quasiment saussurienne. Ce qui fait que nous connaissons un mot, c'est que nous pouvons le distinguer d'un mot voisin, un lapin n'est pas un lopin. Pour ma part, je suis satisfait de cette définition, mais j'ai hâte qu'un Socrate vienne me montrer qu'elle ne tient pas la route et qu'il s'agit, une fois de plus, de tout remettre sur la table. L'esprit ne progresse qu'à reculons.
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12 mai 2007 : Jean Baudrillard, De la séduction (posté le 24/12/2008 à 13:55)
Peu d'enseignements pratiques, bien entendu. Qu'est-ce donc que la séduction ? D'abord, Baudrillard le répète mille fois, la séduction, c'est, dit-il dans un discours délicieusement aféministe commenté au crayon papier par une étudiante idiote, féminin, parce réversible, sans profondeur, sans sens. Séduire n'a pas de loi mais a des règles, arbitraires, mais qu'il est nécessaire de respecter. Séduire n'est ni divin ni hasardeux. C'est diabolique (donc féminin, s'empresse d'ajouter l'auteur). Séduire, c'est toujours être séduit (d'où la réversibilité). C'est de l'ordre du mystère et du rite. La séduction, une religion ? Sauf qu'il n'y a pas de système de sens caché derrière. Derrière ? Rien. Le vide. La mort. Ce qui charme est artificiel mais secret. Deux dimensions de la séduction sans lesquelles on reste dans le domaine de la production, du réel, du pornographique : le secret et le défi. La relation duelle de séduction (que Baudrillard oppose à la relation sociale de production et de reproduction) n'est jamais dite même si elle est connue et comme elle est réversible, mouvante, jamais stable, elle constitue pour ceux qui la vivent un défi permanent, une relation dont les codes sont insensés parce que secrets et dont la règle du jeu, non-dite, doit toujours être respectée, sous peine de mort. On ne peut séduire qu'en perdant pied, qu'en acceptant de se conformer à une règle arbitraire qui est le contraire de la loi, parce que ne relevant pas de la vérité mais de l'artifice. Je ne sais pas pourquoi je suis séduit et dans quel but je séduis mais je me laisse prendre par la joie mystérieuse du jeu. Ce matin, par exemple, une nouvelle Mireille, inconnue, des yeux verts qui me forcent à citer la plus belle page d'un ouvrage inclassable, en guise de conclusion à une lecture difficile mais stimulante, comme l'est la séduction : 'La séduction des yeux. La plus immédiate, la plus pure. Celle qui se passe de mots, seuls les regards s'enchevêtrent dans une sorte de duel, d'enlacement immédiat, à l'insu des autres, et de leur discours : charme discret d'un orgasme immobile, et silencieux. Chute d'intensité lorsque la tension délicieuse des regards se dénoue en mots par la suite, ou en gestes amoureux. Tactilité des regards où se résume toute la substance virtuelle des corps (de leurs désirs ?) en un instant subtil, comme en un trait d'esprit - duel voluptueux et sensuel, et désincarné à la fois - épure parfaite du vertige de la séduction, et qu'aucune volupté plus charnelle n'égalera par la suite. Ces yeux-là sont accidentels, mais c'est comme s'ils s'étaient depuis toujours posés sur vous. Dénués de sens, ce ne sont pas des regards qui s'échangent. Nul désir ici. Car le désir est sans charme, mais les yeux, eux, comme les apparences fortuites, ont du charme, et ce charme est fait de signes purs, intemporels, duels et sans profondeur'.
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5 avril 2007 : Platon, Gorgias (posté le 23/12/2008 à 22:10)
Socrate est un séducteur à qui il est bien difficile de ne pas succomber. Est-ce précisément parce que Platon fait précisément ce que Socrate dénonce, de la rhétorique, c'est-à-dire de la flatterie ? Certes, Socrate ne flatte pas ses auditeurs, ils leur rentre dans le cadre, il les déstabilise en leur posant des questions dont les réponses sont des évidences mais dont ils ne voient pas les conséquences, que Socrate exhibe devant leurs yeux ébaubis, il reprend leurs discours en les ridiculisant, etc., etc. Bref, ce que fait Socrate, c'est se mettre dans la poche le lecteur. Le Gorgias, tout en dénonçant la rhétorique, est lui-même un texte bassement rhétorique. Bassement ? Si l'on adhère aux thèses de Socrate (et de Platon, bien sûr, bien plus), oui, car le lecteur, le Délos, éprouve, en voyant Socrate foutre la pâtée à Calliclès, à Polos et à Gorgias, un plaisir certain, sans pour autant éprouver, me semble-t-il une élévation de l'âme, à moins, mais dans ce cas-là il faut réfuter l'opposition plaisir-bien élaborée sur des a priori contestables par Socrate, comme le fera Aristote, que le plaisir soit justement une élévation de l'âme. C'est cette question du plaisir qui me semble être la faiblesse de la pensée par ailleurs séduisante de Socrate et Platon. Qu'entendent-ils par plaisir ? C'est bien flou. Que retenir, alors, quelles idées méritent notre acquiescement ? La distinction entre la rhétorique, qui est un savoir-faire, au même titre que la cuisine, et ce que je vais appeler, en m'éloignant un peu du texte de Platon, le discours juste. La rhétorique produit la conviction, plaisir de l'âme (le même que quand on rigole de la déformation par Socrate des propos de Calliclès), comme la cuisine produit le plaisir du corps. Le discours juste, la rhétorique dans son idéal, produit l'amélioration de l'âme malade, comme la médecine provoque l'amélioration du corps malade. Si l'on transpose ceci sur le plan politique, on se trouve nez à nez avec Sarkozy (et consort). Que cherchent à faire les politiciens en campagne ? à flatter l'opinion en promettant monts et merveilles ou à élaborer un discours qui dit, même si c'est contraire à l'opinion publique, la vérité ? Mais voilà le second problème. C'est quoi la vérité, en politique ? La vérité, est-ce vraiment une affaire politique ? Paradoxalement, Socrate fait de la politique une éthique tout en refusant tout engagement politique pour lui-même. Le politicien doit améliorer les citoyens, comme le juge doit améliorer, par les sanctions justes qu'il inflige, ceux qui ont commis une mauvais action, mais force est de constater qu'un politicien qui améliore les habitants de sa cité, ça n'existe pas, que ce sont seuls les philosophes, qui, loin des plaisirs du pouvoir, peuvent rendre meilleurs leur propre âme et, par la dialectique, c'est-à-dire par un dialogue permettant à l'autre de comprendre que sa façon de voir les choses contrevient à la raison, l'âme de ses amis. Le philosophe, sans se mêler en aucune façon de politique, est finalement le seul à vraiment faire de la politique. Voilà qui pose question à nos démocraties basées sur l'opinion publique, c'est-à-dire sur un socle majoritaire d'idées toutes faites qu'aucun Socrate ne vient interroger. Le caractère subversif, dangereux pour la cité, de la méthode de Socrate, même si on peut et on doit critiquer ses a priori et sa logique, demeure sans doute encore aujourd'hui le meilleur moyen de faire évoluer ce qui doit évoluer pour qu'un peu plus de bien inonde un monde qui se complaît dans le confort des stéréotypes.
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9 février 2007 : Aristote, Ethique à Nicomaque (posté le 23/12/2008 à 16:37)
C'est quoi, L'Ethique à Nicomaque ? Une recette de sagesse ? Une argumentation savante à l'usage des aspirants bienheureux ? La voie du bonheur ? Je n'en sais rien. Aristote fait du bonheur le bien suprême pour l'homme et ce bonheur est à la fois vertu et plaisir. Ce bonheur, il est non un état mais un acte. Il dépend de nous. Il consiste (j'aplatis hélas, comme toujours, il le faut) à vivre vertueusement, c'est-à-dire en évitant les excès, en cherchant sans cesse la moyenne entre ce qui est trop (la témérité par exemple) et ce qui n'est pas assez (la lâcheté). Il consiste à développer ce qui est le plus beau (d'où vient ce beau, quel est donc ce concept si souvent lancé et jamais clair ?) en nous, à savoir les vertus intellectuelles. Quoi qu'est-ce ? Le bonheur, à la fin du livre, c'est la méditation (sur quoi ? comment ? pourquoi ?), activité durable, contrairement aux plaisirs, qui sont bons, très bon (Aristote est hédoniste, contrairement à mes idées reçues), mais éphémères. Pourquoi privilégier l'intelligence ? parce que nous sommes peut-être les seuls à la posséder ? Qu'est-ce qu'on en sait (il faudrait que je relise, en guise de contrepoint, L'Apologie de Raymond de Sebonde) ? Cela dit (je saute du coq à l'âne, je suis terriblement a-aristotélicien), il y a du bon (voilà que j'utilise moi-même ce concept si difficile à problématiser) dans la pensée d'Aristote, qui met l'accent sur la responsabilité de l'individu dans ses actes, les actes vertueux étant choisis en pleine conscience : "D’abord, il (l'homme vertueux) doit savoir ce qu'il exécute ; ensuite le décider et, ce faisant, vouloir les actes qu'il accomplit pour eux-mêmes ; enfin, troisièmement, agir dans une disposition ferme et inébranlable". Et vlan ! Tout ça est terriblement exigeant. Il faut connaître (c'est déjà foutu, le "connais-toi toi-même" part en couille si souvent) ; il faut vouloir, pas dans son intérêt propre mais dans l'intérêt du bien (gratuitement, ou du moins en se rendant compte que la vertu ne peut que rendre heureux en fin de compte, et qu'il faut donc souffrir pour être belle) ; et finalement une fois qu'on veut, il faut s'y tenir. Bref le bonheur, Aristote le dit lui-même, c'est plus divin qu'humain. Si c'est humain, c'est réservé à "l'homme vertueux", un type dont l'essence serait bonne, un saint ou un fou (bien sûr le philosophe ne dit pas ça, bien au contraire, c'est le non-vertueux, le banal pêcheur, qui est fou), bref un monstre. Aristote, une philosophie hors de portée ? une éthique impossible à mettre en application ? Ce qui est génial, c'est qu'en lisant son argumentation, malgré l'immensité de la tâche et l'incertitude quant à sa propre disposition à la vertu, on se dit que ça vaudrait quand même la peine d'essayer, que faire un bout de route est possible, qu'on peut aller vers le bonheur en flânant en chemin, du côté des vertus (pas toujours exaltantes hélas, parce que médianes, alors que l'on désire l'extrême, et que le jusqu'au-boutisme est plus beau pour un esprit moderne, qui se méfie de la sagesse comme de la peste, parce que méditer, c'est laisser faire Hitler, même si le sage aristotélicien n'aurait pas laissé faire, je l'espère, sinon toutes les belles phrases sur la vertu tombent à l'eau), de la justice, de l'amitié, du plaisir. Bref, la vie selon Aristote, c'est un peu ennuyeux, mais le bonheur, puisque c'est stable, c'est ennuyeux. Ennuyons-nous donc avec plaisir.
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26 septembre 2006 : Lorenzo Menoud, Qu’est-ce que la fiction ? (posté le 20/12/2008 à 13:55)
La question a, comme bien souvent, l'air simple, et, comme toujours, ne l'est pas. Ce petit livre n'y répond pas tout à fait mais donne des pistes intéressantes que je vais tenter partiellement de retracer. Tout d'abord l'auteur montre qu'un discours, car seul un discours comme la littérature ou le cinéma mais pas la musique ou la peinture peut être considéré comme fictionnel, n'est une fiction que dans un contexte social précis, un mythe grec étant pour nous une fiction, ce qu'il n'était pas pour les grecs eux-mêmes, qui pensaient qu'il était réel. Dès qu'un texte raconte une histoire sans prétendre à sa validité, il est considéré comme une fiction. Je pourrais, par exemple, raconter ma vie en ne mentionnant que la stricte vérité ; si je publie ce récit en inscrivant en sous-titre "roman", le lecteur considérera mon texte comme une fiction. Une fiction ne se caractérise donc pas par l'absence de référents extérieurs à son monde mais par un consensus social qui fait que l'on va considérer que le monde représenté par un discours fictionnel n'appartient qu'au texte qui le décrit, qu'il n'a pas de sens à l'extérieur de son propre système. Napoléon, dans un roman de Tolstoï ou de Stendhal, n'est pas identifiable à l'individu qui a réellement existé même s'il fait forcément allusion à lui. Il ne fait qu'en prendre certaines caractéristiques. Il est ce que Menoud (et les auteurs qu'il commente) appelle un "nom fictionnel" c'est-à-dire "un ensemble de descriptions dont il est fait semblant qu'elles sont attribuées à un individu particulier". Un personnage de fiction donc n'existe pas avant d'être décrit puisqu'il n'est que le fruit de sa description. Il n'est que des mots. Pourtant, dans notre rapport à la fiction, nous croyons en l'existence des personnages décrits même si nous savons qu'ils n'existent pas. Nous pouvons être émus par ce qui leur arrive ou par ce qu'ils font. Nous pouvons avoir pitié d'eux ou peur d'eux. S'agit-il d'une illusion ? S'agit-il d'un jeu ? Penser que nos émotions vis-à-vis de la fiction sont de l'ordre de l0illusion, c'est oublier que nous sommes toujours conscients que nous avons affaire à une fiction, que ce qui est représenté devant nous a un statut particulier. Mais penser qu'il s'agit d'un jeu, c'est nier le caractère réel de nos sentiments face à la fiction. Si, quand j'avais quatorze ans, j'ai pleuré en lisant le récit de la mort de Jean Valjean, je sais bien que je n'ai pas joué à pleurer. On se trouve donc, dans notre rapport à la fiction, dans une situation paradoxale : "1) Nous éprouvons des émotions pour des objets fictionnels (personnages ou situations). 2) Eprouver des émotions pour des objets présuppose que nous croyions en l'existence des ces objets. 3) Nous ne croyons pas à l'existence des objets fictionnels". Comment sortir du paradoxe ? La proposition que fait ce petit bouquin est assez convaincante et je ne vais donc pas tenter, du haut de mon amateurisme, de la contester. Ce qui fait que, tout en ne croyant pas en l'existence des objets fictionnels nous éprouvons des sentiments vis-à-vis d'eux, c'est que la présence de ceux-ci nous donne un contenu mental qui peut être ressenti comme effrayant, attendrissant ou triste. Si j'ai peur d'un personnage de fiction, je n'ai pas réellement peur d'un être réel mais de la pensée qu'il insinue dans mon esprit. Voir un monstre qui court après un homme, c'est penser qu'une telle situation peut être réelle même si l'on sait qu'elle ne l'est pas. Or penser qu'il est possible qu'un monstre nous court après, ça fait peur. Finalement on se retrouve face à une question de point de vue, le fictif pouvant sans cesse dans notre esprit se transformer en possibilité de réel puis en réel, suivant le degré de conscience que nous avons du caractère fictif de ce que nous voyons. Quand Mathias, dans Le Voyeur, construit une fiction, il oublie instantanément que c'est une fiction, parce que le contenu de sa pensée provoque en lui une vision réelle de ce qu'il imagine. Quand nous lisons, nous ne sommes pas tout à fait des Mathias mais nous voyons des choses fictives, nous les imaginons et elle ne sont donc plus complètement inexistantes. Si donc les personnages de fictions n'existent pas avant d'être décrits, le fait que des lecteurs, qui eux-même existent, les imaginent fait en sorte qu'ils acquièrent une forme d'existence en tant que contenus de pensée et que toutes les réactions à leur encontre sont possibles, même les plus folles. Qu'est-ce donc que la fiction ? Tentons une définition de notre cru, c'est-à-dire ne prétendant aucunement à énoncer une vérité : la fiction est la représentation, par un discours ne prétendant pas à la représentation d'une réalité, d'objets potentiellement réels parce que présentés comme tels, ce qui provoque une tension constante entre le statut du discours et son contenu. Pas mal, non ?
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3 septembre 2006 : Sören Kierkegaard, Traité du désespoir (posté le 16/12/2008 à 18:33)
Etrange expérience que la lecture d’une théorie avec laquelle on est presque en totale opposition. Cette longue diatribe sur la conscience de l’infini en l’homme, sur le péché et le désespoir qui en découle est pour moi un charabia fort désagréable car tout est, comme dans l’esprit de mes parents, sous-tendu par la foi au Christ, dont Kierkegaard souligne sans doute avec justesse les conséquences ignobles, cette culpabilisation constante de l’individu devant papa Dieu qui, et c’est le scandale (tournure dont l’auteur use et abuse), sans que l’homme ne puisse rien y comprendre, parce que, jolie formule, le christianisme est « l’invention de la démence d’un dieu », tout à coup, sans que bébé homme, pécheur et continuant de pécher, ce qui est un péché de plus, le vrai péché, papa Dieu donc, qui, ne cherchons pas à le comprendre parce qu’on doit croire, point barre, soudain, parce qu’il est Dieu, mais ne cherchons surtout pas à le comprendre, pauvre mecs déprimés que nous sommes, même pas conscients de notre propre désespoir qui est de vouloir être soi et de ne pas vouloir l’être, papa Dieu donc, et c’est le scandale, prend sa baguette magique et remet nos péchés. Ce qui néanmoins émerge de ce fatras de sottises, c’est l’affirmation fondamentale de la supériorité de l’individu sur la foule et de l’expérience individuelle sur le concept. Il n’y a pas de concept du péché. Il n’y a que des individus qui, chacun à sa façon, pèchent parce qu’il n’ont pas la foi, comme moi. Kierkegaard, prenons-en note, me relègue, parce que je ne suis pas conscient de la vérité (existe-t-il un mot plus vulgaire ?), de la nature infinie de mon moi, de ma soumission totale à la volonté supérieure de mon créateur et du fait que je désespère parce que je pèche en ne voulant pas être moi et en voulant l’être, quasiment dans l’animalité, ce qui, soit dit en passant, ne m’est pas si désagréable que ça puisque ça me libère de la soumission à la doctrine désespérante du christianisme moralisateur qui me bassine avec la notion d’esprit que je n’ai jamais pu comprendre, trop conscient (c’est-à-dire, selon Kierkegaard, inconscient, parce qu’il renverse totalement la logique qui est la mienne) de n’être qu’un agencement saugrenu de la matière, un amas d’os, de muscles (peu volumineux) et de nerfs qui ne saurait en aucun cas sentir, quand il voit les cadavres pourrir dans leurs tombeaux, en une éternité du moi, incarnant le stade le plus inconscient du désespoir, celui qui, parce qu’elle est un scandale, consiste à fuir la réalité visible pour, illusoirement, croire en des chimères comme l’esprit, Dieu, la rémission des péchés et la vie éternelle. Mon désespoir à moi est sans rémission parce qu’il est conscience de l’éphémère et de la mort et s’interdit de penser, car ce serait un déni de la réalité, une transcendance. Vivre comme si Dieu existait, voilà peut-être le péché, car c’est ne pas vouloir être soi, etc. Ici je crois que je pourrais reprendre le traité de Kierkegaard en entier mais en le renversant afin qu’il signifie son contraire. Finalement je ne suis pas en opposition avec le Traité du désespoir. Je pense juste que les choses justes qu’il énonce, et elle sont assez nombreuses, ne sont justes que dans la mesure où l’on rejette le fondement même de ce qui pousse leur auteur à les énoncer, la foi, qui n’est pas le contraire du péché mais sa manifestation inconsciente.
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