meslectures

          | Ma musique

Ecrire sur et à partir de la musique a-t-il un sens? Souvent, il semble que la musique se suffit à elle-même, mais je ne peux m'empêcher de lui donner des mots, de la décrire ou de l'interpréter, de me souvenir des cadeaux qu'elle m'a offerts, des émotions qu'elle m'a procurées et du silence qui s'est brisé grâce à elle. 

J'écrirai donc, au hasard de mes musiques, ce qu'elles m'inspirent. 

Bernard Joyet, Ma bible (posté le 04/11/2014 à 18:52)

La chanson française est-elle morte? Non, elle est juste étouffée sous le déferlement des banalités et des tubes à fric qui se contentent bêtement de répéter les mêmes onomatopées abrutissantes et les mêmes slogans cucul la praline.

Sous le tas de merde de temps en temps pourtant émergent des coups de génie. Bernard Joyet ne passe pas à la radio, parce que pour l'apprécier, il ne suffit pas d'ânonner avec lui des la la la ou des papaouté, il faut prendre le temps d'écouter ce qu'il dit et ne pas se contenter d'un vocabulaire de trois mots et demi. Il faut même, suprême horreur en notre époque écervelée, posséder un minimum de culture et être capable de second degré. 

Il serait même apprécié que l'auditeur lise la Bible. C'est du moins ce dont Bernard Joyet veut nous convaincre dans cette chanson. La Bible, ce sont des histoires abracadabrantesques et scandaleuses: des guerres et des trahisons, des fécondations plus louches que celles que dénonce la manif pour tous ("immaculée, mon cul, tu m'as trompé, salope, si c'est le Saint Esprit, je suis Napoléon", pensa jadis Joseph agitant pour la rime sa varlope, c'est du moins ce que suggère le chanteur, renonçant avec délice au politique correct); ce sont aussi des tours de magie, de la sorcellerie, un infaillible Zorro qui guérit à tour de bras et même de l'épouvante quand le lecteur se retrouve vampire ("buvez ça, c'est mon sang") puis anthropophage ("mangez ça, c'est mon corps").

Mais ne dévoilons pas la fin, "par ailleurs fantastique", ainsi que nous le suggère le critique, et laissons-nous griser par le plaisir interdit du blasphème.

 

 

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Ludwig van Beethoven, Donna nobis pacem de la Missa Solemnis en Ré majeur, op.123, par l'orchestre et le choeur symphoniques de Londres, sous la direction de Sir Colin Davis (posté le 30/10/2014 à 12:30)

Comment le génie de Beethoven dit-il la paix? Nous sommes entre 1818 et 1822. L'Europe sort d'une de ses sempiternelles guerres. Elle s'en remet à peine en faisant mine de revenir à l'Ancien Régime. Tout a pourtant radicalement changé. La musique de Beethoven le prouve.

La paix se cherche entre morne plaine et réveil des corps blessés. Elle voudrait affirmer sa puissance retrouvée à travers un choeur qui se gonfle d'orgueil et de sonorités chaudes, mais elle hésite. Les voix de femmes craignent que les hommes à nouveau se mettent à crier. C'est fait : ils crient la paix. Même les cuivres de l'orchestre hurlent la paix. On n'en a plus que pour elle, la paix, la paix, la paix! 

Il semble pourtant que sans la douceur féminine, on replongerait bien vite dans une gloire trop virile. L'affirmation de la paix, quand elle devient trop sûre d'elle, prépare la guerre. Beethoven sait que la prochaine guerre sera terrible. Il faut donc qu'il martèle la paix avec fougue, presque avec acharnement. Son chant semble hélas n'avoir servi à rien. On a beau (et Dieu sait si c'est beau) invoquer sans fin la paix, la guerre renaît toujours de ses cendres. 

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Romain Didier, L'aéroport de Fiumicino (posté le 29/10/2014 à 13:44)

L'errance se voyage dans le temps. Rome n'est plus ce qu'elle était. Déjà Du Bellay s'en plaignait. Romain Didier cherche des légions, des empereurs, des esclaves, mais ne trouve que décadence, caméras de surveillance, chars de combat. Un nom propre : Nino Rota. Deux ou trois Chrétiens qui se donnent la main. Une nana qui te dit "je t'aime" en italien. As-tu bien compris? L'avion repart pour Lutèce. Bredouille. 

Tous les avions volent vers Rome, mais vers où Rome vole-t-elle? 

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Jean-Luc Darbellay, Lacrimosa du Requiem pour solistes, choeur et orchestre, par le MDR Sinfonieorchester, le MDR Rundfunkchor, Julie Kaufmann, soprano, Iris Vermillon, alto, Christoph Genz, ténor, Markus Marquardt, bariton, sous la direction de Fabio Luisi (posté le 28/10/2014 à 12:31)

Il faudrait par les mots trouver la lenteur de ce qui s'arrête et ne peut s'arrêter. Il faudrait trouver ce calme fragile des voix en larmes et des instruments suspendus à des notes sans fin. Il faudrait donner à entendre le canon murmurant d'un dies irae qui s'est renoncé à lui-même, qui ne crie plus que l'écho de sa disparition, qui ne tremble plus que parce que le repos éternel reste à inventer. 

La musique tend vers le silence. Elle ne vit encore que par souvenir de la mélodie disparue. Un cor, un hautbois, un basson, un ténor, une basse, un choeur, tentent un dernier souffle. Tous disent presque le même geste. Ils cessent et ne cessent de se couper la parole, parce qu'enfin, la mort aidant, la mort posant devant soi l'homme nu, chacun a le même discours, la même peur, la même douleur, le même besoin d'une musique qui console. 

Les larmes ne pleurent pas. Elle habituent. 

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Gilbert Bécaud, Quand tu n'es pas là (posté le 25/10/2014 à 11:23)

Bécaud parfois peut se calmer. Il suffit d'une absence. Le monde s'alanguit. La force s'amenuise. Mais le coup de mou ne dure pas. Il faut garder l'espoir. La solitude, ça n'existe pas. La tragédie n'est qu'une parenthèse. Les oiseaux pleurent quelques larmes de crocodiles, puis ils se tiennent les ailes, consolent l'abandonné et ramènent la fugueuse. 

Bécaud reste dans la métaphore. Il reste loin de la brisure, loin du temps perdu qu'on ne rattrape plus, loin de la désespérance de Barbara. 

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Maurice Fanon, Jean-Marie de Pantin (posté le 24/10/2014 à 09:11)

Qui se souvient de Maurice Fanon? Qui se souvient des tourneurs de Saint-Denis? Qui se souvient de l'amour? Hier, c'était hier, aujourd'hui, c'est demain. On a jeté au fond de la Mer du Nord, ou au fond de la Seine, on ne sait plus, les vieilles chansons fanées. 

Quand parfois elles refont surface, on leur trouve du charme, certes pas celui des marins anglais, mais celui d'une bal(l)ade désuète qui nous valse un instant dans une banlieue pas encore dévastée où l'on pouvait encore "s'aimer bien". 

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Serge Gainsbourg, Chatterton (posté le 23/10/2014 à 17:20)

Je me disais qu'écrire un peu me redonnerait un peu la pêche, mais Gainsbourg en rajoute une couche. La liste des suicidés et des fous alliés - Chatterton, Hannibal, Démostène, Nietszche, Cléopâtre, Isocrate, Goya, Marc-Antoine, Van Gogh et Schumann - sur fond de saxophone lancinant et d'organum délirant n'incite pas à la franche rigolade. On se dit qu'on n'est pas seul. On regarde par la fenêtre. Le pont. Soyons plutôt Van Gogh qu'Hannibal. Coupons-nous l'oreille pour ne pas en entendre plus. 

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Ludwig van Beethoven, Ouverture de Fidelio, op.726, par l'orchestre symphonique de la radio de Ljubjana, sous la direction d'Anton Nanut (posté le 22/10/2014 à 21:36)

Un de mes plus anciens CD, Mega Classic, couverture lie-de-vin, formes géométriques, espèce de filet orange et rouge sinusoïdal qui se voulait moderne. Je découvrais la musique classique. Sur un autre CD, il y avait le Boléro de Ravel, sur un autre encore les quatre saisons de Vivaldi, les incontournables, les sempiternels tubes qu'on méprisera plus tard, qu'on remplacera par de plus rares bijoux. 

Beethoven pourtant semble irremplaçable. Dès la première intervention du cor, puis des clarinettes, on baigne dans le mythe romantique, on se laisse emporter par une tempête d'énergie, on se calme parfois au son des bois, puis on se laisse obséder par la mélodie qui revient toujours, chaque fois ailleurs, chaque fois plus intense, plus tragique, plus virile, avant que je (c'était moi, les "on" du début) me fonde à nouveau dans la douceur d'un calme parfait mais éphémère, d'un calme avant l'ultime tempête, qui dévastera tout et qui restera plantée dans l'âme pour toujours. 

Réécouter ses vieux Beethoven, c'est revenir à la naissance du plaisir musical, c'est retrouver le sommet duquel on avait sauté dans le vide, c'est se ressouvenir que la musique, toujours, est affaire de passion. L'antique CD va rentrer dormir dans son tiroir, rajeuni. Il ne sortira jamais de l'esprit de l'enfant qui le découvre à chaque écoute. 

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Allain Leprest, Pauvre Lelian (posté le 21/10/2014 à 08:57)

Poète et chanteur maudits, Paul Verlaine et Allain Leprest sombrent tous deux de ne pas être compris. Lot habituel du génie. L'errance, l'alcool, l'absence ("monsieur Verlaine s'est absinthé"), la vieillesse avant l'heure, la maladie, Rimbaud (si bien chanté par Leprest), la poésie, la misère, encore un dernier blanc, puis encore un, puis le vide, le trouble, la pluie, la désillusion, la mort. 

L'excès de sensibilité tue autant que la cigarette et la fée verte. Il éloigne du monde ceux qui l'ont le mieux vu, ceux qui écrivent des coups de foudre dont ils se frappent eux-même, "demain, il faudra te serrer la petite ceinture", "et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille", "il pleut, Paris fait sa Bruxelles", "pour un coeur qui s'ennuie, ô le bruit de la pluie", "c'est toi ou le trottoir qui boite", "ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur", "quel est cet empaffé qui tord la rue qui paraissait si droite?", "te souviens-il de notre extase ancienne?", "bon vent Lelian". 

Bon vent Allain… 

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Giovanni Battista Pergolesi, Deuxième mouvement allegro de la Sinfonia a violoncello solo pour violoncelle et basse continue en fa majeur, par Bruno Cocset au violoncelle et Il seminario musicale, sous la direction de Gérard Lesne (posté le 20/10/2014 à 14:49)

Musique à perruques? Musique du soir, quand on dépose la perruque et qu'on se regarde dans le miroir. Le violoncelle sautille sans joie. Il sait que bientôt, quand la basse continue se sera tue, il sera l'instrument de la mélancolie, de la gravité, de la pique qui se retourne contre soi. Pour l'instant, il joue encore dans le baroque à sable. Demain, il sera grand; après-demain, mort. 

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