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| Roman

9 août 2011 : Christian Gailly, K.622 (posté le 09/08/2011 à 20:05) |
Bêtement, j'ai écrit et cela s'est effacé, à la fin du premier mouvement. L'adagio est majestueux, puis doux quand entre la clarinette, le son de la clarinette tant aimé de Mozart, et qui chez moi n'est encore que bribes de musique. Je ne retrouverai pas l'émotion qu'un autre a cherché à retrouver, même si je m'efforce à avoir des haut-le-coeur. Que c'est beau! me dis-je aussi. Le livre frôle Proust, la petite phrase de Vinteuil, insaisissable, parce que fugace, éphémère comme le bonheur, cette musique de Chausson hier après-midi, ce Nouthra donna di Moartze lors de ce bis jadis, le choral final de la Passion selon Saint Jean. Je lis le chapitre qui s'efforce inutilement de décrire le concerto au cinéma, en attendant Harry Potter, en écoutant les mots d'une oreille, comme souvent la musique, puis j'apprécie avec plus de présence la rencontre de l'aveugle, belle et simple pour terminer un petit livre. Hier soir, c'était les chaussures à acheter, et le costume, et le billet, interminable attente, le gros du livre, volontairement ennuyeux, car la grâce se doit d'être rare. Ecrire sur un livre est aussi inutile et néanmoins nécessaire que d'écrire sur un concerto, que la sirène d'une ambulance vient troubler, alors que se prépare les sautillements délicats du final. | |
7 juillet 2011 : Arnaldur Indridason, La femme en vert (posté le 08/08/2011 à 15:39) |
Roman policier du Nord, typique, avec son atmosphère glauque au possible, une femme battue, un commissaire au chevet de sa fille droguée dans la coma, un vieux qui meurt en révélant un indice, un meurtre sordide où la victime est enterrée vivante, ce bouquin ne séduit que par une intrigue bien ficelée et un piège plus ou moins bien tendu au lecteur. Le reste, bof. Pas de style. Tous les clichés du polar nordique essorés jusqu'à la dernière goutte, avec de la psychologie de bazar à tous les étages, dans la vie privée merdique des enquêteurs et dans celle des enquêtés, provoquent chez moi un ennui dont je ne sors que quand l'enquête avance, trop rarement. Tout ça sent trop le roman-noir-scandinave-à-la-mode en quête de succès commercial. | |
1er août 2011 : Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix (posté le 01/08/2011 à 11:08) |
Pavé interminable ? Oui et non. Certes, la lecture a été longue, mais le roman a tenu ses promesses. La fresque napoléonienne, de la gloire à l'effondrement, vue en négatif du côté russe, nous plonge dans la Grande Histoire, celle des batailles et des retraites, des discussions de palais et de casernes, mais Guerre et Paix (laissons de côté la polémique sur le titre), c'est aussi et surtout la petite histoire, celle de ceux qui sont pris, malgré eux, dans les évènements. Au fond, ce qui fait que La Guerre et la Paix (en russe, si j'ai bien compris, les déterminants "le" et "la" n'existent pas, donc les deux traductions sont possibles) se lit sinon rapidement, du moins avec un intérêt presque constant, ce sont les personnages et leurs aventures au milieu de la tourmente générale. Les passions de Natacha, jeune fille en quête d'absolu et de plaisirs, amoureuse folle, puis mère de famille épanouie, celles de Pierre, balourd, philosophe tête en l'air, cocu, assassin virtuel de Napoléon, prisonnier puis père de famille, celles de la princesse Maria, sous le joug colérique de son horrible père, la laide princesse Maria qui devient belle quand ses yeux s'illuminent, mystique puis, alors que tout l'en éloignait, amoureuse, celles de son frère le prince André, qui touche la mort de près à toutes les batailles, qui aime Natacha, qui meurt dans ses bras, celles de Nicolas Rostov, de Sonia, la plus malheureuse peut-être, sans crier gare, celles aussi de Koutousov, le militaire incompris qui comprend qu'il faut laisser faire, celles de Petia, qui meurt alors même qu'il réalise son rêve militaire, toutes ces passions, romantiques au milieu des ruines, diverses, se rencontrant sans cesse, font de Guerre et Paix un roman de la vie sous tous ses états, un foisonnement de rêves et de réalités, un jeu de l'amour, du hasard, de la mort et de l'histoire unique en son genre. | |
25 juin 2011 : Vladimir Nabokov, Lolita (posté le 25/06/2011 à 11:55) |
La deuxième lecture n'est pas moins troublante que la première. Certes, d'emblée Humbert Humbert est moins sympathique. On le sait pédophile, on sait que ce qu'il ne dit qu'à mots couverts est ignoble, que Lolita est innocente, qu'il la détruit. Pourtant, il dit l'aimer, et il n'y a pas de raisons de ne pas le croire. Tout à coup, on se retrouve du côté du pervers, on se surprend à le prendre en pitié, car il souffre; puis il fait allusion à une pratique dégueulasse, et on se repend, on se dit qu'il nous amadoue comme il a amadoué sa pauvre Lolita. Le va-et-viens entre dégoût et compassion est constant, tenace, insupportable. Quand, à la fin, il se fait meurtrier, qu'il franchit la dernière limite, on essaie toujours de lui trouver, tout en sachant qu'il n'en a pas, des circonstances atténuantes. Humbert Humbert est plus trouble encore que le narrateur des Bienveillantes car il se sait monstrueux. Lolita est un livre plus scandaleux encore aujourd'hui qu'à sa parution, car écouter ce qui se passe dans l'esprit des violeurs d'enfants, à l'heure où ce crime est devenu l'incarnation du mal absolu, ne peut que réveiller ce qui, en nous, fait que nous sommes toujours, parce qu'humains, des monstres en puissance. | |
14 juin 2011 : Marcel Proust, à l'ombre des jeunes filles en fleurs (posté le 14/06/2011 à 12:45) |
Le narrateur découvre l'amour et les fleurs, les jeux de Gilberte aux Champs-Elysées, la petite bande floue de Balbec qui enfante Albertine. Qu'écrire de plus? Chaque page est un trésor, un bouquet garni. Chaque phrase sonne juste. La naissance du sentiment, les faces changeantes des êtres dans la mémoire et dans le réel, le temps qui passe sans qu'on ne s'en rende compte, tout est décrit avec une finesse, une délicatesse, une grâce si parfaite qu'on est ébahi à chaque seconde. Les jalons sont posés pour la suite. Charlus esquisse son secret. Elstir donne les premières touches au tableau. La galerie de personnages naît. Il faut se plonger du côté de Guermantes. | |
16 février 2011 : William Faulkner, Tandis que j'agonise (posté le 17/02/2011 à 18:27) |
Théâtre de monologues intérieurs dans l'Amérique profonde, m'est avis (dirait Anse) que ce roman très moderne en son temps échappe à nos sensibilités pourtant spécialistes des points de vue multiples. Il faut enterrer la mère dans sa ville natale, traverser les crues du fleuves sans se noyer, faire vivre la folle famille. Chaque personnage narrateur a sa folie. Cash mesure le cercueil. Vardaman pense que sa mère est un poisson. Dewey Dell cherche à se faire avorter. Anse s'obstine. Darl met le feu. La succession des mondes intérieurs crée la solitude de tous. Chacun est dans sa tête, commente à sa sauce les malheurs de la famille. Rien ne comunique. Je suis sans doute passé à côté. | |
26 décembre 2010 : Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé (posté le 26/12/2010 à 21:01) |
Roman réaliste qui donne le frisson. Tout semble vrai, et l'est sans doute. Un enfant-soldat (mesurons déjà l'absurde de cette situation...) raconte avec naïveté et lucidité sa vie de merde dans la guerre tribale, les crânes sur des poteaux à l'entrée de camps, les kalachs aux cous des bandits, les morts atroces, les viols, le hasch, le labyrinthe mortifère des factions politico-maffieuses du Liberia et de Sierra Leonne, le bordel des violences tout azimut. Lecture effarante quand on se dit que c'est aujourd'hui, que ce que nous montre l'actualité, la Côte-d'Ivoire au bord de la déchirure, ça aboutira fatalement (car c'est la fatalité, Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes ses choses ici-bas) à des horreurs comme celles décrites. Que faire ? | |
2 novembre 2010 : Antoine Blondin, L'humeur vagabonde (posté le 02/11/2010 à 09:42) |
Tout cela est bien écrit... Le narrateur erre dans Paris, naïf. Il dort sans le savoir dans un bordel, se perd dans le cimetière du Père-Lachaise, passe une nuit chez les flics. Cela aurait pu continuer. Le roman semble être un vagabondage sans fin. Le narrateur décide cependant de rentrer dans sa campagne, de retrouver sa femme sans passer d'abord chez sa mère. Là, inattendu, survient le drame. Le lecteur a le plaisir rare de la surprise. Le coup de fusil vient de nulle part. Le roman tourne. Drame passionnel, homme perdu entre son épouse assassinée et sa mère meurtrière, homme que l'on s'arrache dans la ridicule bonne société sans coeur, parce qu'il est peut-être complice, homme qui subit. Il se retrouve figurant de cinéma, métaphore évidente de sa vie, homme figurant de sa propre vie. Tout cela est raconté avec style (notion dont on sait bien qu'elle ne veut rien dire, mais je ne vois pas comment le dire autrement), au temps évaporé où il était naturel de bien écrire. | |
29 octobre 2010 : Jean-Louis Fournier, Poète et paysan (posté le 29/10/2010 à 19:09) |
Le gars de la ville qui ne parvient pas à survivre à la ferme, mon inverse, à moi, gars de la campagne exilé pour à la ville. Roman vite lu (on a envie d'ajouter "vite écrit"), tantôt rigolo, tantôt déprimé. Petite lecture de vacances. Les phrases sont courtes, naïves, volontairement mauvaises. Les jeux de mots sont plats. Le narrateur est sympathique, avec ses défauts, ses candeurs, la vie qui frappe de plein fouet, ses amours loupées. Le monde paysan est décrit dans son étrangeté et un peu dans sa vérité. Quelques images remontent de pas si loin : on tirait le gros rateau, on déchargeait les bottes de paille dans la grange torride, on sortait les fumiers, sans se laver les mains, on donnait aux veaux, qui donnaient des coups de tête, on lançait des bûches de bois dans une remorque et sur la tête de marraine, on oubliait de fermer les poules ("cota les dzeneuilles", "fermer le péclet", ce roman manque cruellement du langage paysan, donc de poésie...), on mangeait du béton. Juste pour ça, ce petit bouquin anodin méritait d'être lu. | |
26 octobre 2010 : Jean-Philippe Toussaint, L'appareil-photo (posté le 26/10/2010 à 12:30) |
Comment se fait-il, alors que ce qui nous est raconté n'est rien, une rencontre amoureuse non peinturlurée de sentiments, des voyages sans but, un appareil-photo jeté à la mer, qu'on soit sous le charme ? Toussaint, même si son oeuvre est reconnaissable parmi mille, demeure un mystère. L'appareil-photo mélange les deux registres de l'auteur, le comique de situation esquissé l'air de rien et le poétique (toujours de situation) révélé dans des détails d'une vie banale et extraordinaire. Les personnages ne sont présents que par leurs actions, hasardeuses, perdues, et ils sont, le narrateur en tête, mais aussi cette Pascale de rencontre qui devient compagne inséparable, foncièrement passifs, laissant la vie passer sur eux et essayant, comme on fait lorsque l'on prend une photo, d'en saisir l'essence. Parfois le narrateur s'enferme (dans des toilettes ou dans une cabine téléphonique, décor délabré, insalubre et banal) pour penser, c'est-à-dire pour laisser le flot de choses défiler dans la tête. Il y trouve le bonheur, peut-être le même bonheur que l'on trouve, on ne sait pas trop pourquoi, en lisant Toussaint. | |
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