meslectures

          | Ma musique

Ecrire sur et à partir de la musique a-t-il un sens? Souvent, il semble que la musique se suffit à elle-même, mais je ne peux m'empêcher de lui donner des mots, de la décrire ou de l'interpréter, de me souvenir des cadeaux qu'elle m'a offerts, des émotions qu'elle m'a procurées et du silence qui s'est brisé grâce à elle. 

J'écrirai donc, au hasard de mes musiques, ce qu'elles m'inspirent. 

Serge Reggiani, La Putain (posté le 20/10/2014 à 12:38)

Il est des souvenirs d'enfance plus marquants que d'autres. Il est des romantismes bricolés dans la fange plus sublimes que les plus grandioses paysages. Le mythe de la putain hélas s'étiole. Serge Reggiani serait aujourd'hui taxé de misogynie. On verrait de la perversité là où il n'y a que de la mélancolie. La putain (ou, parce que l'enfance est pudique, la p…) transforme le pianoteur en Chopin, elle suscite les premiers émois, elle est une madeleine de Proust aux senteurs de souffre et de violette. Candeur et passion, amour et passe à quatre sous, tout se mélange, pour toujours. Les enfants devenus grands épousent tous, sans le savoir, des putains.

Mais mon pudibond ordinateur souligne le mot en rouge; jamais il n'éprouva, même en pensée, le vertige des amours tarifées. 

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Maurice Ravel, Trois beaux oiseaux du paradis, deuxième des trois chansons pour choeur mixte sans accompagnement, par le SWV Vokalensemble de Stuttgart, sous la direction de Rupert Huber (posté le 17/10/2014 à 20:09)

Mine de rien, la guerre continue. Trois oiseaux pour garder un peu d'espoir, quelques soupirs dans les voix d'accompagnement, une question lancinante. Le dernier oiseau porte un joli coeur tout cramoisi. Un frémissement. Un crescendo. Une réponse énigmatique. Ravel ne dévoile rien mais un autre coeur, qui hélas a compris ce que veut dire le mot "guerre", soudain se sent froid. 

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Franz Schubert, Die Nacht, par les King Singer's (posté le 05/10/2014 à 21:37)

La nuit de Schubert, sucrée délicatement par les King Singer's, a le clair de lune discret. Rien de sombre ni de menaçant dans cette nuit, juste le silence du sommeil, quelques fleurs (le mot allemand Blumen est tellement plus beau), de la beauté, de la beauté et de la beauté. On en vient presque à souhaiter la nuit éternelle. 

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Henri Salvador, Mathilda (posté le 04/10/2014 à 21:05)

L'amour est-il comme le café? Gainsbourg dit oui, Salvador dit non. Plus spécialiste en café qu'en amour, je ne départagerai pas grandes oreilles et pépé sourire.

Leurs arguments? D'un côté, l'amour est "très vite passé quand on en a marre de café"; de l'autre, "il vaut mieux le consommer avant qu'il ne soit passé". En fait, ils affirment la même évidence, et la chanson, par essence contradictoire et je-m'en-foutiste, envoie paître la philosophie. 

Pour Henri Salvador, il n'est pas besoin de réfléchir. Il faut foncer; sinon, on se retrouve avec son coeur sur les bras et des vieilles filles dans les pattes. Il suffit de se déhancher sur un air latino rigolo et de rappeler qu'à force de poireauter, on devient vieux, et que les vieux, en amour, ça n'est pas comme le café: ça a de la peine à exciter. 

Et à exister.

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Antonin Dvorak, Troisième mouvement Scherzo (molto vivace) de la Symphonie n°9 en mi mineur "du nouveau monde", par l'Orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction de Rafael Kubelik (posté le 04/10/2014 à 18:46)

Musique d'Amérique ou d'Europe, cette symphonie d'un nouveau monde qui regarde vers l'ancien?

Un scherzo, par définition, ne peut pas se danser dans les plaines du Minnesota. Il a besoin d'un pont de bois vermoulu sur les rives du Danube ou de l'Elbe; il lui faut les nattes blondes des filles de l'Est et une bière plus légère que celles que l'on rote en pick-up.

Il semble ici pourtant que des roulottes (ancêtres du pick-up?) se mettent en route pour une aventure tragique, violente et sublime, qu'elles suivent l'appel des cors virils qui mettent l'orchestre à leurs pieds. Les petites flûtes de Tchéquie n'en mènent pas large quand l'immensité prend le pouvoir. Un coup de timbales impérialiste leur cloue le bec. C'est parti pour la ruée vers l'or. La danse du vieux pont écroulé n'était que la première pépite du trésor. 

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Marilyn Monroe, My heart belongs to daddy (posté le 01/10/2014 à 16:08)

Il fut un temps où même les sex symbols chantaient de la bonne musique et où c'était les Américaines qui saupoudraient leurs chansons de langue française ("You know, le propriétaire", "mon coeur est à papa"). Jadis, l'oeil et l'oreille participaient au même plaisir. La petit robe s'envolait sur la bouche pendant que les cuivres s'envolaient dans des pétarades jouissives. Le spectateur et l'auditeur en restaient tout émoustillés. La voix sensuelle, coquine et faussement naïve, venait magnifier le décolleté de la robe qu'on disait coller à la peau. Quand les présidents s'envoyaient des chanteuses ou des top models, elles n'en perdaient ni les cordes vocales ni la cervelle. 

Aujourd'hui, pour profiter d'un clip de Shakira ou de Rihanna, il faut couper le son. L'image, quand on remplace l'électronique qui lui sert de fond sonore par My heart belongs to daddy, devient vite d'une vulgarité insoutenable. Autant couper aussi l'image et ne garder dans sa libido que le souvenir de Marilyn. 

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Sarcloret, La saga des machins et des zinzins (version courte) (posté le 27/09/2014 à 18:18)

Peut-on faire de la bonne chanson écolo, quelque chose qui échappe à la mièvrerie des amoureux des petites fleurs et aux délires gentillets des fumeurs d'herbe à chat?

Y'avait qu'à demander à Sarclo. Lui, il se contente de décrire une jolie petite centrale nucléaire familiale bien de chez nous, entourée de chants d'oiseaux, de grognements bovino-porcins et d'accordéon bourré, puis, quand tout le monde est rassuré, de la faire péter, par Jimmy Hendricks.  

L'auditeur, surpris, découvre alors qu'on peut être écolo tout en ayant de l'humour. 

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Jacques Brel, Le bon Dieu (posté le 21/09/2014 à 17:43)

La valse lente de Brel en agonie sublime sa superbe. Il y devient le vieux qui crache aux étoiles, le mourant qui gueule ses éclats de vie, l'arrogant qui cloue le bec du bon Dieu.

Du dernier album de Brel, cette pépite d'or pur (Les Marquises, La ville s'endormait, Jojo, Voir un ami pleurer, Orly, que des chansons de génie qu'il ne faut jamais cesser d'écouter en boucle), Le bon Dieu ne paie pas de mine. Peut-être est-ce fait exprès. Brel se contente d'affirmer cette évidence : "Toi, tu n'es pas le bon Dieu; toi, tu es beaucoup mieux : tu es un homme." Sans en avoir l'air, il dynamite des millénaires de soumission. Tout le génie de Brel (je ne trouve pas d'autre mot quand il s'agit de lui) tient dans l'absolue justesse des mots qu'il assemble et qu'il assène. En une phrase et en une petite mélodie mélancolique, il a tout dit. Il a redonné sa fierté aux hommes qui se croyaient faibles en leur laissant croire que s'ils avaient été Dieu, ils auraient mieux su que lui. Il n'en est bien sûr rien, mais l'espérer fait du bien. 

Jacques Brel n'est pas le bon Dieu. Jacques Brel est beaucoup mieux : Jacques Brel est un homme. 

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Gilbert Bécaud, La vente aux enchères (posté le 05/09/2014 à 19:18)

A vendre pour pas cher, la meilleure chanson de Monsieur cent mille volts : des crins-crins aux cordes pétées par l'acharnement des fous dansants, le grain rauque d'une voix à pois, des souvenirs qui n'ont pas de prix, l'aventure à la pointe d'un coup de pied au cul, un grand chagrin d'amour de derrière les fagots et - tenez-vous bien, Monsieur Pointu! - la mort au bout du fusil, tout debout et tout nu. 

A l'heure où tout se vend et tout s'achète, la vente aux enchères poétiques reste tristement dévaluée. Rien n'a pourtant plus de prix que la cicatrice d'une passion ravageuse, que le grand départ pour nulle part et qu'une mort libre, sans curé et sans docteur. A la bourse de la vie, l'inflation n'a pas lieu d'être et la politique de relance est permanente, sinon c'est la banqueroute, la solitude, le malheur. 

Il est grand temps de vendre du vent, du rêve, de l'énergie (à revendre), la mère à Titi sans les poils, les poils de la mère à Titi, son âme au diable, des clopinettes, des bijoux, des babioles, des pots de chance de toutes les couleurs, le brasseur à purin sans l'hélice ("il n'y a pas d'hélice hélas, c'est là qu'est l'os"), des éclats de rire, des questions sans réponse, des arcs-en-ciel, des amours sur le retour et des fleurs au bout des fusils. 

Mise à prix : une bonne poignée de main pour les messieurs, un petit Bécaud pour les demoiselles. Madame est partante? Adjugé, vendu, avec en prime une amourette dont vous me direz des nouvelles! 

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Johann Sebastian Bach, Variation Goldberg n°4, par Glen Gould (posté le 31/08/2014 à 20:55)

Les touches sont frappées avec l'assurance du génie qui reconnaît son semblable. Gould et Bach tissent la même toile, solide et légère, qui donne à l'auditeur chatouillé par les enluminures et les ornements un instant bref et intense de plaisir simple. 

Le jeu ne s'arrête pas en chemin. Il est temps de passer à la prochaine variation. L'oreille se tend : quel coup de foudre va bien pouvoir à nouveau frapper? 

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