meslectures

          | Ma musique

Ecrire sur et à partir de la musique a-t-il un sens? Souvent, il semble que la musique se suffit à elle-même, mais je ne peux m'empêcher de lui donner des mots, de la décrire ou de l'interpréter, de me souvenir des cadeaux qu'elle m'a offerts, des émotions qu'elle m'a procurées et du silence qui s'est brisé grâce à elle. 

J'écrirai donc, au hasard de mes musiques, ce qu'elles m'inspirent. 

Gioachino Puccini, "Bimba, Bimba, non piangere" de Madame Butterfly, par Victoria de los Angeles, Giuseppe di Stefano, le choeur et l'orchestre de l'opéra de Rome, sous la direction de Gianandrea Gavazzeni (posté le 30/08/2014 à 12:57)

Adoubé par le label "enregistrement de légende", par des noms qui incarnent la crème de l'opéra à l'Italienne à la grande époque et par l'assurance d'être diffusé par Paul-André Demierre assorti de mille louanges lues avec passion, cet extrait de Butterfly semble, comme on dit, ne pas avoir vieilli, parce que la musique de Puccini (la première que j'ai chantée, jadis) garde intact ce parfum de mystère et d'émotion à la centième écoute et parce que le destin tragique du pauvre papillon dont on brûle les ailes ne cesse pas de toucher la corde sensible.

Puccini, c'est l'émotion à l'état pur, sans kitsch et sans pudeur, le pur plaisir de pleurer. 

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Johannes Reiche, Vierklarinettenstücke III, par Sujeito a Guincho (posté le 30/08/2014 à 12:08)

Sur Arkimédon 356, quatre humanoïdes verts et bleus à bec de clarinette s'accouplent. Clés et trous se bouchent et se débouchent en saccades chaloupées et violentes. On pèse au hasard sur les boutons de la machine fluo. Les oiseaux de bois soudain s'envolent, se chamaillent, se plument et tombent sur le sol lisse. On enterre le mourant en éclatant d'un rire effrayant de douceur. Puis on s'en va, heureux, dans le soleil couchant vert, en songeant qu'au pays des hommes-clarinettes, on ne meurt qu'à moitié. 

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Gilbert Bécaud et Claire Leclercq, Square Séverine, extrait du film Casino de Paris (posté le 28/08/2014 à 18:37)

La naïveté énergique de Gilbert Bécaud se balade cahin-caha au bras d'une inconnue, un jeudi de jadis, quand jeudi était encore jour d'école buissonnière. Avec le temps, la balade s'attendrit. Du youpi des bambins, on passe mine de rien à des soupirs plus équivoques, à des nuits plus adultes, à des rêves plus mélancoliques. La robe bleu ciel de l'enfant tombe. Le rire viril cache mal l'excitation. Gilbert Bécaud pourtant ne perd rien de sa naïveté. Il semble que le temps sur lui ne passe pas. A-t-il dix, vingt ou soixante ans? Il a l'âge des chansons, l'âge de l'éternelle jouvence. 

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Les Frères Jacques : Le tango interminable des perceurs de coffres-forts (posté le 24/08/2014 à 19:37)

(extrait d'un roman en chansons en cours d'écriture)

 

"Bon, t'as fini ta comédie?", s'esclaffa la fille du coupeur de joint.

L'Espingouin sourit : "Rhabille-toi! On a du boulot. C'est bon, tu peux te pointer, Dudule." Le CRS mélomane entra, tout sourire : 

- C'est aujourd'hui qu'on perce?

- Ouais. T'as les outils?

- La pince monseigneur, le chalumeau oxhydrique, et le taser, mon grand Victor, et tu sais qu'il marche plutôt bien...

- Ouais, faudra qu'on en discute, Dudule. Faudrait peut-être aussi arrêter de faire le mariole, parce qu'il y a des coup des pieds dans le c...

- Qui se perdent, on sait, les interrompit la fille, mais on n'a pas le temps de faire la causette et de jouer le grand final en ut mineur (au chômage) de La symphonie fantastique à l'ophicléide. Faut qu'on se casse vite fait, avant que toute la compagnie découvre le pot aux roses.

- On les a quand même bien eu, rigola l'Espingouin. Quelle bande de cornichons...

- De haricots, plutôt, plaisanta le CRS ripou. 

- De paupiettes de veau, ajouta, spirituelle, la greluche.

- Vous allez la boucler ou quoi? Allez, au boulot. Y a un job à terminer, s'impatienta le grand Victor, t'as trouvé la planque?

- J'en ai plein, des planques : Buenos Aires, Pétaouchnok, le Sri Lanka, Nagasaki...

- Parfait! On met les voiles. Y a pas de temps à perdre, ordonna l'Espagnol. 

Ils filèrent donc en douce, direction Paris. Arrivés - par une nuit plutôt nocturne - près du palais de l'Elysée, ils cachèrent la vieille Aronde à l'endroit prévu. A la fenêtre, leur complice avait indiqué par le signe convenu que tout était en place. Ils entrèrent par le local des poubelles, et, sans embûche, ils arrivèrent jusqu'au coffre bourré comme un baron où était planqué le trésor convoité : le grand collier de la légion d'honneur! 

Ils s'emparèrent très vite du Graal, mais en se retournant, ils comprirent qu'ils étaient marrons : les poulets grouillaient comme à Oudan un jour de foire, et le président tenait leur complice en joue. 

- Comment t'as tout su? lui demanda, interdite, la fille du bord de mer. 

- J'ai envoyé mes espions à la maison rouge.

- Qui? J'étais certain que personne ne se doutait de rien, rugit l'Espingouin.

- Ils avaient pour ordre de révéler ce qu'ils apprendraient puis, si la sécurité de l'Etat était compromise, de mettre fin à leurs jours. A l'heure qu'il est, ils sont enterrés dans votre jardin, comme vous le serez aussi bientôt. La peine de mort a parfois du bon. Allez! Tous au youf!

Ils sortirent menottés, sous les flash des canards et sous les quolibets de la foule. On les emmena au violon, ce qui fit sourire jaune le CRS mélomane. Quant à l'Espingouin, il pleura comme un veau quand les barreaux de la cage se refermèrent sur lui. 

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Benny Goodman, He ain't got rhythm (posté le 23/08/2014 à 21:46)

Pas de rythme? Pourtant les doigts ont les fourmis, et ça y est, je craque : ils claquent. La tête, vidée de la rentrée qui approche, se secoue le cerveau affolé. La langue se cogne avec éclats de rire aux parois de la trop petite bouche. Le genou, oubliant qu'il a mal, soulève un pied qui se prend sans vergogne dans un tapis de contre-temps pas même boiteux. Soudain, Benny Goodman, c'est moi. Je chante, dans un anglais de derrière les fagots, le plaisir du bon vieux jazz, et voilà même que j'empoigne en catimini ma clarinette pour une dernière cabriole acrobatique en play-back.

Il est des musiques qui font plus de bien qu'un coup de pied au cul et qu'une psychanalyse. 

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Kyrie de la Missa Luba, messe africaine arrangée par Guido Haazen, par le Munngano National Choir du Kenya, sous la direction de Boniface Mganga (posté le 22/08/2014 à 19:07)

(extrait d'un texte en cours d'écriture)

 

La fête se fout du péché, jadis si lourd au temps macabre et révolu où Bruckner épurait les âmes comme on épura les races. La nouba gomme les couleurs des hommes et les rougissements des femmes. De Grandcour à Ouagadougou, c'est la même joie simple, le même plaisir tout bête de chanter la même ritournelle qui tourne en boucles blondes ou en nattes de cheveux crépus. 

La demande de pardon va à l'essentiel. Elle répète jusqu'à ce que Dieu n'en puisse plus sa requête toute conne. Dieu pourtant ne s'en lasse pas. Il entre Lui-même dans la ronde et oublie tout. 

"Quelle faute?", marmonne-t-il dans sa barbiche de griot, "la faute à Voltaire?"

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Guillaume Morlaye, Gaillarde pour luth, par Claude Debôves (posté le 22/08/2014 à 16:08)

Le luth, c'est de la guitare en costumes anciens.

Le gueuleton s'achève. La ripaille se fatigue. Les ventres songent à mettre en branle la digestion douloureuse. Un type alors se lève, un peu moins ivre que les autres. Il empoigne le manche (ici fusent quelques rires rabelaisiens) de son instrument, puis il grattouille un intermède en attendant les douceurs.

Mine de rien, le musicien se rassied. Personne n'a vraiment fait attention à lui. Il est des musiques qui ne jouent que les entremets. 

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Alleluia grégorien, par le Choeur des Armaillis de la Gruyère, sous la direction de Michel Corpataux (posté le 20/08/2014 à 09:59)

L'armailli et le moine se fondent en un unisson pur. Ils sèment, au coeur de l'agitation, un instant de calme qui trouve le moyen de se prolonger à l'infini. L'alleluia n'a rien d'invasif. Il est intérieur, intime, timide. Il est pourtant le même chez tous, comme s'il suffisait de dérouler la mélodie ancienne pour inventer la fraternité, comme s'il suffisait de retrouver les accents perdus du latin d'église pour que l'écho s'échappe des chapelles fermées et gravisse sans peine montagnes et becquets. 

Cet alleluia surtout a la lenteur du temps réel. Il redonne au corps et à l'âme son tempo originel, le rythme du barbu qui s'appuie sur la canne, s'arrête de temps en temps pour admirer les splendeurs du ciel et de la terre, reprend sa marche rude et légère vers les sommets. 

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Léo Ferré, Les mains de Jeanne-Marie, poème d'Arthur Rimbaud (posté le 19/08/2014 à 21:59)

Les mains de Léo Ferré massacrent les touches du piano et sa voix, au loin, psalmodie les mots sacrés, en hésitant parfois, comme effrayé devant le monstre Rimbaud. 

Est-ce ainsi que se vit la poésie? 

C'est aussi ainsi. C'est dans les voix rauques ou timides qui s'essaient à déclamer, c'est dans les fous qui roillent leur mystère, c'est dans les musiciens qui bredouillent sur des notes obsédantes le mot "pandiculations", et c'est dans les mains inconnues, rêvées, empoignées ou pianotées, que se poétise la vie. 

Je songe à une femme qui n'a qu'une main. Ce prénom, Jeanne-Marie, sonne alors étrange dans ma mémoire d'enfant. 

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Jacques Offenbach, "Ta mère? Oses-tu l'invoquer?… Chère enfant que j'appelle", scène 1 de l'acte 4 des Contes d'Hoffmann, par l'Orchestre de la Société des concerts du conservatoire, sous la direction d'André Cluytens (posté le 19/08/2014 à 21:22)

La voix qui appelle, chez Offenbach, n'a pas grand chose de mystérieux. Elle vient des coulisses, pas de l'au-delà. Ceux qui l'entendent ne tremblent pas. Ils en profitent pour unir leurs mélodies diffuses, pour montrer la force de leur bel organe, pour prendre leur pied (et celui du public) dans une mélodie sans fin qui s'élargit jusqu'à s'achever dans un cri de joie. 

Tout cela sonne-t-il faux? Le plaisir, la tension, la puissance qui naissent d'un appel qu'on avait à peine entendu, prouvent que non. Le transport qui enivre est certes théâtral à souhait, irréaliste à foison, mais il emporte sur son passage tonitruant l'auditeur complètement baba. 

L'opéra a cet avantage sur le roman qu'on n'a pas besoin de faire semblant d'y croire pour se sentir touché. 

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